<86>Les auteurs français doivent se souvenir du préjudice que porta à leur nation la prison de François Ier; la France en ressent encore les effets; et l'abus de rendre les charges vénales, que la nécessité de trouver des fonds pour payer la rançon du Roi introduisit alors, est un monument qui la fait ressouvenir sans cesse de cette flétrissante époque.
Notre héros fugitif, dans une situation qui aurait accablé tout autre que lui, parut encore admirable d'imaginer des ressources dans son malheur. Pendant sa marche, il réfléchissait aux moyens d'armer la Porte contre la Russie; il tirait du sein même de son infortune des expédients pour la réparer. Je m'afflige de voir ce héros, en Turquie, s'avilir à faire le courtisan du Grand Seigneur, et mendier ces mille bourses. Quel caprice ou quelle obstination inconcevable de s'opiniâtrer à demeurer sur les terres d'un souverain qui ne voulait plus l'y souffrir! Je voudrais qu'on pût effacer de son histoire ce combat romanesque de Bender. Que de temps perdu dans le fond de la Bessarabie à se repaître d'espérances chimériques, tandis que les cris de la Suède et les sentiments de son devoir l'appelaient à la défense de ses États, abandonnés en quelque manière par son absence, et que, depuis quelque temps, ses ennemis infestaient de tous les côtés! Les projets qu'on lui attribue depuis son retour en Poméranie, et que quelques personnes mettent sur le compte de Görtz, m'ont paru si vastes, si extraordinaires, si peu assortissants à la situation et à l'épuisement de son royaume, qu'on me permettra, pour l'amour de sa gloire, de les passer sous silence.
Cette guerre si féconde en succès comme en revers fut commencée par les ennemis de la Suède, et Charles, forcé à réprimer leurs attentats, se trouva dans le cas d'une défense légitime : ses voisins, qui ne le connaissaient pas, l'attaquèrent, parce qu'ils méprisèrent sa jeunesse. Dès qu'il parut heureux et redoutable, l'Europe l'envia, et dès que la fortune l'abandonna, les puissances liguées l'écrasèrent pour le dépouiller. Si notre héros avait eu autant de modération que de courage, s'il avait su poser lui-même des bornes à ses triomphes, s'accommoder avec le Czar lorsque les occasions de faire la paix se présentèrent à lui, il aurait étouffé la mauvaise volonté de ses envieux, qui, dès qu'il