<93>un bloc de marbre sans défaut, des ciseaux fins et de bons poinçons; alors il pourra réussir : point d'instrument, point d'artiste. On m'objectera peut-être que les républiques grecques avaient jadis des idiomes aussi différents que les nôtres; on ajoutera que de nos jours même on distingue la patrie des Italiens par le style et la prononciation, qui varient de contrée en contrée. Je ne révoque pas ces vérités en doute; mais que cela ne nous empêche pas de suivre la continuation des faits dans l'ancienne Grèce, ainsi que dans l'Italie moderne. Les poëtes, les orateurs, les historiens célèbres fixèrent leur langue par leurs écrits. Le public, par une convention tacite, adopta les tours, les phrases, les métaphores que les grands artistes avaient employés dans leurs ouvrages; ces expressions devinrent communes, elles rendirent ces langues élégantes, elles les enrichirent, en les ennoblissant.
Jetons à présent un coup d'œil sur notre patrie. J'entends parler un jargon dépourvu d'agrément, que chacun manie selon son caprice, des termes employés sans choix, les mots propres et les plus expressifs négligés, et le sens des choses noyé dans des mers épisodiques. Je fais des recherches pour déterrer nos Homères, nos Virgiles, nos Anacréons, nos Horaces, nos Démosthènes, nos Cicérons, nos Thucydides, nos Tites-Lives; je ne trouve rien, mes peines sont perdues. Soyons donc sincères, et confessons de bonne foi que jusqu'ici les belles-lettres n'ont pas prospéré dans notre sol. L'Allemagne a eu des philosophes qui soutiennent la comparaison avec les anciens, qui même les ont surpassés dans plus d'un genre; je me réserve d'en faire mention dans la suite. Quant aux belles-lettres, convenons de notre indigence. Tout ce que je puis vous accorder sans me rendre le vil flatteur de mes compatriotes, c'est que nous avons eu, dans le petit genre des fables, un Gellert, qui a su se placer à côté de Phèdre et d'Ésope; les poésies de Canitz sont supportables, non de la part de la diction, mais plus en ce qu'il imite faiblement Horace.a Je n'omettrai pas les idylles de Gessner, qui trouvent quelques partisans; toutefois permettez-moi de leur préférer les ouvrages de Catulle, de Tibulle et de Properce. Si je repasse les historiens, je ne trouve que l'histoire d'Allemagne du professeur Mascou que je puisse citer
a Voyez t. I, p. 264.