<156>Ils emploient la flatterie, la ruse et la séduction pour arracher les secrets de l'État aux ministres; ils gagnent les faibles par leur adresse, les orgueilleux par leurs paroles, et les intéressés par leurs présents; en un mot, ils font quelquefois tout le mal qu'ils peuvent, car ils peuvent pécher par devoir, et ils sont sûrs de l'impunité.
C'est contre les artifices de ces espions que les princes doivent prendre de justes mesures. Lorsque le sujet de la négociation devient plus important, c'est alors que les princes ont lieu d'examiner à la rigueur la conduite de leurs ministres, afin d'approfondir si quelque pluie de Danaé n'aurait point amolli l'austérité de leur vertu.
Dans ces temps de crise où l'on traite d'alliances, il faut que la prudence des souverains soit plus vigilante encore qu'à l'ordinaire. Il est nécessaire qu'ils dissèquent avec attention la nature des choses qu'ils doivent promettre, pour qu'ils puissent remplir leurs engagements.
Un traité envisagé sous toutes ses faces, déduit avec toutes ses conséquences, est tout autre chose que lorsqu'on se contente de le considérer en gros. Ce qui paraissait un avantage réel ne se trouve, lorsqu'on l'examine de près, qu'un misérable palliatif qui tend à la ruine de l'État. Il faut ajouter à ces précautions le soin de bien éclaircir les termes d'un traité, et le grammairien pointilleux doit toujours précéder le politique habile, afin que cette distinction frauduleuse de la parole et de l'esprit du traité ne puisse point avoir lieu.
En politique, on devrait faire un recueil de toutes les fautes que les princes ont faites par précipitation, pour l'usage de ceux qui veulent faire des traités ou des alliances : le temps qu'il leur faudrait pour le lire leur donnerait celui de faire des réflexions qui ne sauraient que leur être salutaires.
Les négociations ne se font pas toutes par des ministres accrédités; on envoie souvent des personnes sans caractère dans des lieux tiers où ils font des propositions avec d'autant plus de liberté, qu'ils commettent moins la personne de leur maître. Les préliminaires de la dernière paix entre l'Empereur et la France furent conclus de cette manière, à l'insu de l'Empire et des puis-