<158>sont comme un centre où tous les chemins de la politique doivent se réunir, et ce doit être le but de toutes ses négociations.
La tranquillité de l'Europe se fonde principalement sur le maintien de ce sage équilibre par lequel la force supérieure d'une monarchie est contre-balancée par la puissance réunie de quelques autres souverains. Si cet équilibre venait à manquer, il serait à craindre qu'il n'arrivât une révolution universelle, et qu'une nouvelle monarchie ne s'établît sur les débris des princes que leur désunion rendrait trop faibles.
La politique des princes de l'Europe semble donc exiger d'eux qu'ils ne négligent jamais les alliances et les traités par lesquels ils peuvent égaler les forces d'une puissance ambitieuse; et ils doivent se méfier de ceux qui veulent semer parmi eux la désunion et la zizanie. Qu'on se souvienne de ce consul qui, pour montrer combien l'union était nécessaire, prit un cheval par la queue, et fit d'inutiles efforts pour la lui arracher; mais lorsqu'il la prit crin à crin, en les séparant, il en vint facilement à bout.a Cette leçon est aussi propre pour certains souverains de nos jours que pour les légionnaires romains : il n'y a que leur réunion qui puisse les rendre formidables, et maintenir en Europe la paix et la tranquillité.
Le monde serait bien heureux, s'il n'y avait d'autres moyens que celui de la négociation pour maintenir la justice et pour rétablir la paix et la bonne harmonie entre les nations. L'on emploierait les raisons au lieu d'armes, et l'on s'entre-disputerait seulement au lieu de s'entr'égorger. Une fâcheuse nécessité oblige les princes d'avoir recours à une voie beaucoup plus cruelle; il y a des occasions où il faut défendre par les armes la liberté des peuples qu'on veut opprimer par injustice, où il faut obtenir par violence ce que l'iniquité refuse à la douceur, où les souverains doivent commettre la cause de leur nation au sort des batailles. C'est dans un des cas pareils que ce paradoxe devient véritable, qu'une bonne guerre donne et affermit une bonne paix.
C'est le sujet de la guerre qui la rend juste ou injuste. Les passions et l'ambition des princes leur offusquent souvent les
a Le trait dont le Roi parle ici est rapporté un peu différemment par Plutarque, Vie de Sertorius. chap. XVI.