<18>On pousse les précautions plus loin encore. On paye des subsides aux cours de Suède et de Danemark, ou pour les contenir simplement, ou pour qu'elles soient en état de s'opposer à ceux qui voudront prendre des mesures contraires aux intentions et aux arrangements de la cour de France.
Autant la politique de la cour de France est excellente, autant faut-il avouer aussi qu'elle est favorisée par un concours de certaines circonstances. Tous les princes dont la grandeur et la puissance pouvaient lui donner de l'ombrage se trouvent désunis. Il ne reste à la France qu'à ne point laisser éteindre le feu de la discorde, et à l'attiser plutôt. Et en quoi la France a un avantage infiniment plus grand encore, c'est qu'elle n'a presque personne en tête dont la profondeur d'esprit, la hardiesse et l'habileté puissent lui être dangereuses; à cet égard elle acquiert moins de gloire que n'en acquirent les Henri IV et les Louis XIV.
Que dirait Richelieu, que dirait Mazarin, s'ils ressuscitaient de nos jours? Ils seraient fort étonnés de ne plus trouver de Philippe III et IV en Espagne, plus de Cromwell et de roi Guillaume en Angleterre, plus de prince d'Orange en Hollande, plus d'empereur Ferdinand en Allemagne et presque plus de vrais Allemands dans le saint-empire, plus d'Innocent XI à Rome, plus de Tilly, plus de Montécuculi, de Marlborough, d'Eugène à la tête des armées ennemies; de voir enfin un abâtardissement si général parmi tous ceux à qui est confiée la destinée des hommes dans la paix et à la guerre, qu'ils ne s'étonneraient point qu'on pût vaincre et tromper les successeurs de ces grands hommes. Autrefois les Français étaient obligés de combattre contre toute l'Europe liguée et conjurée contre eux, et c'était à leur valeur seule qu'ils devaient leurs conquêtes; à présent ils doivent leurs plus beaux succès à leurs négociations, et c'est moins à leur force qu'à la faiblesse de leurs ennemis qu'on peut attribuer le cours triomphant de leurs prospérités. Il n'y a pas de meilleur moyen de se faire une idée juste et exacte des choses qui arrivent dans le monde, que d'en juger par comparaison, de choisir dans l'histoire des exemples, d'en faire le parallèle avec les faits qui arrivent de nos jours, et d'en remarquer les rapports et les ressemblances. Rien de plus