<203>pour jouir d'une heureuse indépendance; mais on n'en connaît point qui, de libres qu'ils étaient se soient assujettis à un esclavage volontaire.
Plusieurs républiques sont retombées, par la suite des temps, sous le despotisme; il paraît même que ce soit un malheur inévitable, qui les attend toutes, et ce n'est qu'un effet de ces vicissitudes et de ces changements qu'éprouvent toutes les choses de ce monde. Car, comment une république résisterait-elle éternellement à toutes les causes qui minent sa liberté? Comment pourrait-elle contenir toujours l'ambition des grands qu'elle nourrit dans son sein, cette ambition qui renaît sans cesse et qui ne meurt jamais? Comment pourra-t-elle à la longue veiller sur les séductions et les sourdes pratiques de ses voisins, et sur la corruption de ses membres, tant que l'intérêt est tout-puissant chez les hommes? Comment peut-elle espérer de sortir toujours heureusement des guerres qu'elle aura à soutenir? Comment pourra-t-elle prévenir ces conjonctures fâcheuses pour la liberté, ces moments critiques et décisifs, et ces hasards qui favorisent les téméraires et les audacieux? Si ses troupes sont commandées par des chefs lâches et timides, elle deviendra la proie de ses ennemis; et si elles ont à leur tête des hommes vaillants et hardis, ils ne seront pas moins entreprenants en temps de paix qu'en temps de guerre; le défaut de leur constitution les fera donc périr tôt ou tard.
Mais si les guerres civiles sont funestes à un État monarchique, elles le sont d'autant plus à un État libre; c'est une maladie qui leur est mortelle : à leur faveur, les Sylla conservèrent la dictature à Rome, les César se rendirent les maîtres par les armes qu'on leur avait mises en les mains, et les Cromwell vinrent à bout d'escalader le trône.
Les républiques se sont presque toutes élevées de l'abîme de la tyrannie au comble de la liberté, et elles sont presque toutes retombées de cette liberté dans l'esclavage. Ces mêmes Athéniens qui, du temps de Démosthène, outrageaient Philippe de Macédoine, rampèrent devant Alexandre; ces mêmes Romains qui abhorraient la royauté après l'expulsion des rois, souffrirent patiemment, après la révolution de quelques siècles, toutes les cruautés de leurs empereurs; et ces mêmes Anglais qui mirent