<221>d'autres lui tendent pour le sauver. L'expérience nous fait voir que le premier soin des hommes est celui de leur conservation, et le second, celui de leur bien-être; ce qui détruit entièrement le paralogisme emphatique de l'auteur.
En approfondissant cette maxime de Machiavel, on trouve que ce n'est qu'une jalousie travestie que cet infâme corrupteur s'efforce d'inspirer aux princes; c'est cependant la jalousie des princes envers leurs généraux ou envers des auxiliaires qui venaient à leur secours et qu'ils ne voulaient pas attendre, crainte de partager leur gloire, qui de tout temps fut très-préjudiciable à leurs intérêts. Une infinité de batailles ont été perdues par cette raison, et de petites jalousies ont souvent plus fait de tort aux princes que le nombre supérieur et les avantages de leurs ennemis.
L'envie est un des vices les plus nuisibles à la société, et il est de tout une autre conséquence lorsqu'il se trouve chez les princes que chez les particuliers. Un État où gouverne un prince envieux de ses sujets ne fournira que des citoyens timides, au lieu d'hommes habiles et capables de faire de grandes actions. Les princes envieux étouffent comme dans leur germe ces génies que le ciel paraît avoir formés pour d'illustres entreprises; de là la décadence des empires et enfin leur chute totale. L'empire d'Orient devait autant sa perte à la jalousie que les empereurs témoignaient des heureux succès de leurs généraux qu'à la pédanterie religieuse des derniers princes qui y régnèrent; au lieu de récompenser les habiles généraux, on les punissait de leurs succès, et les capitaines peu expérimentés accéléraient la ruine de l'État. Cet empire ne pouvait donc manquer de périr.
Le premier sentiment qu'un prince doit avoir est l'amour de la patrie, et l'unique volonté qui lui convienne est d'opérer quelque chose d'utile et de grand pour le bien de l'État. C'est à quoi il doit sacrifier son amour-propre et toutes ses passions, et profiter de tous les avis, de tous les secours et de tous les grands hommes qu'il trouve, en un mot, de tout ce qui est capable de contribuer à l'exécution de ses bonnes intentions pour le bonheur de ses sujets.
Les puissances qui peuvent se passer de troupes mixtes ou d'auxiliaires font bien de les exclure de leurs armées; mais comme peu de princes de l'Europe sont dans une pareille situation, je