<223>Voilà pour les erreurs de jugement; voyons à présent celles de morale. Les mauvais exemples que Machiavel propose aux princes sont de ces méchancetés qu'on ne saurait lui passer. Il allègue en ce chapitre Hiéron de Syracuse, qui, considérant que ses troupes étaient également dangereuses à garder ou à congédier, les fit toutes tailler en pièces. Des faits pareils révoltent lorsqu'on les trouve dans l'histoire; mais on se sent indigné de les voir rapportés dans un livre qui doit être pour l'instruction des princes.
La cruauté et la barbarie sont souvent fatales aux particuliers, ainsi ils en ont horreur pour la plupart; mais les princes, que la Providence a placés si loin des destinées vulgaires, en ont d'autant moins d'aversion, qu'ils ne les ont pas à craindre. Ce serait donc à tous ceux qui doivent gouverner les hommes que l'on devrait inculquer le plus d'éloignement pour tous les abus qu'ils peuvent faire d'une puissance illimitée.
Ce même Machiavel qui dit dans ce chapitre, « Qu'il n'y a rien de si fragile que le crédit et la réputation de ceux qui en ont, lorsqu'elle n'est pas fondée sur leur propre vertu, » éprouve aujourd'hui que la fragilité de sa réputation s'est évanouie, et que, si son esprit le fit estimer pendant sa vie, sa méchanceté le fait détester après sa mort. Tant il est vrai que l'on ne peut éblouir que pour un temps les yeux du public; ce public, bon appréciateur de réputations, quand même il fait grâce en un temps, il ne le fait pas toujours, et il juge aussi sévèrement les hommes après leur mort, quelque rang qu'ils aient occupé, que, dit-on, étaient jugés les anciens rois d'Égypte après leur mort.
Il n'y a donc qu'un moyen sûr et infaillible de conserver une bonne réputation dans le monde : c'est d'être effectivement tel qu'on veut le paraître aux yeux du public.