<238>États, ne sont pas des plus grands princes, sont obligés d'administrer leurs revenus avec ordre et de mesurer leurs libéralités selon leurs forces; mais plus les princes sont puissants, et plus doivent-ils être libéraux.
Peut-être m'objectera-t-on l'exemple de François Ier, roi de France, dont les dépenses excessives furent en partie la cause de ses malheurs. Il est connu que les plaisirs de François Ier absorbaient les ressources de sa gloire. Mais il y a cependant deux choses à répondre à cette objection : la première est que, du temps de ce roi, la France n'était point comparable, par rapport à sa puissance, à ses revenus et à ses forces, à ce qu'elle est à présent; et la seconde est que ce roi n'était pas libéral, mais prodigue.
Bien loin de vouloir condamner le bon ordre et l'économie d'un souverain, je suis le premier à l'en louer. Un prince, comme tuteur de ses sujets, a l'administration des deniers publics; il en est responsable à ses sujets, et il faut, s'il est sage, qu'il assemble des fonds suffisants pour qu'en temps de guerre il puisse fournir aux dépenses nécessaires sans qu'il soit obligé d'imposer de nouvelles charges. Il faut de la prudence et de la circonspection dans l'administration des biens de l'État; mais c'est toujours pour le bien de l'État qu'un prince est libéral et généreux; c'est par là qu'il encourage l'industrie, qu'il donne de la consistance à la gloire, et qu'il anime la vertu même.
Il ne me reste plus qu'à relever une erreur de morale dans laquelle Machiavel est tombé. « La libéralité, dit-il, rend pauvre et par conséquent méprisable. » Quel pitoyable raisonnement, quelles fausses idées de ce qui est digne de louange ou de blâme! Quoi! Machiavel, les trésors d'un riche serviront d'équilibre à l'estime publique! Un métal méprisable en soi-même, et qui n'a qu'un prix arbitraire, rendra celui qui le possède digne d'éloge! Ce n'est donc point l'homme, mais c'est le monceau d'or qu'on tient en honneur! Conçoit-on qu'une pareille idée puisse entrer dans le cerveau d'une tête pensante? On acquiert des richesses par industrie, par succession, ou, ce qui est pis encore, par violence. Tous ces biens acquis sont hors de l'homme, il les possède, et il peut les perdre. Comment peut-on donc confondre des