<260>sageant tout ce qui pourrait nous arriver, nous nous préparons à tout ce que nous pourrions faire de plus sensé à l'arrivée de l'événement.
Machiavel propose en ce chapitre cinq questions aux princes, tant à ceux qui auront fait de nouvelles conquêtes qu'à ceux dont la politique ne demande qu'à s'affermir dans leurs possessions. Voyons ce que la prudence pourra conseiller de meilleur, en combinant le passé avec le futur, et en se déterminant toujours par la raison et par la justice.
Voici la première question : si un prince doit désarmer des peuples conquis, ou non.
Je réponds que la manière de faire la guerre a beaucoup changé depuis Machiavel. Ce sont les armées des princes, plus ou moins fortes, qui défendent leurs pays; on mépriserait beaucoup une troupe de paysans armés, et il n'arrive encore que dans des siéges que la bourgeoisie prend les armes; mais les assiégeants ne souffrent pas, d'ordinaire, que les bourgeois fassent le service de soldats, et, pour les en empêcher, on les menace du bombardement et des boulets rouges. Il paraît, d'ailleurs, que c'est de la prudence de désarmer, pour les premiers temps, les bourgeois d'une ville prise, principalement si l'on a quelque chose à craindre de leur part. Les Romains, qui avaient conquis la Grande-Bretagne, et qui ne pouvaient la retenir en paix, à cause de l'humeur turbulente et belliqueuse de ces peuples, prirent le parti de les efféminer, afin de modérer en eux cet instinct belliqueux et farouche; ce qui réussit comme on le désirait à Rome. Les Corses sont une poignée d'hommes aussi braves et aussi délibérés que ces Anglais; on ne les domptera point par le courage, si ce n'est par la bonté. Je crois que, pour maintenir la souveraineté de cette île, il serait d'une nécessité indispensable de désarmer les habitants et de les amollir. Je dis, en passant, et à l'occasion des Corses, que l'on peut voir par leur exemple que de courage et de vertu ne donne point aux hommes l'amour de la liberté, et qu'il est dangereux et injuste de l'opprimer.
La seconde question du politique roule sur la confiance qu'un prince doit avoir préférablement, après s'être rendu maître d'un nouvel État, ou en ceux de ses nouveaux sujets qui lui ont aidé