<264>de nouvelles forces, qu'ils peuvent encore, s'ils les amassent à temps, employer pour faire lever le siége à l'ennemi.
Les dernières guerres de Brabant, entre l'Empereur et la France, n'avançaient presque point, à cause de la multitude des places fortes; et des batailles de cent mille hommes, remportées sur cent mille hommes, n'étaient suivies que par la prise d'une ou de deux villes; la campagne d'après, l'adversaire, ayant eu le temps de réparer ses pertes, reparaissait de nouveau, et l'on remettait en dispute ce que l'on avait décidé l'année d'auparavant. Dans des pays où il y a beaucoup de places fortes, des armées qui couvrent deux milles de terre feront la guerre trente années, et gagneront, si elles sont heureuses, pour prix de vingt batailles dix milles de terrain.
Dans des pays ouverts, le sort d'un combat ou de deux campagnes décide de la fortune du vainqueur, et lui soumet des royaumes entiers. Alexandre, César, Charles XII, devaient leur gloire à ce qu'ils trouvèrent peu de places fortifiées dans les pays qu'ils conquirent; le vainqueur de l'Inde ne fit que deux siéges en ses glorieuses campagnes; l'arbitre de la Pologne n'en fit jamais davantage. Eugène, Villars, Marlborough, Luxembourg, étaient bien d'autres capitaines que Charles et qu'Alexandre; mais les forteresses émoussèrent en quelque manière le brillant de leurs succès, qui, lorsqu'on en juge solidement, sont préférables à ceux d'Alexandre et de Charles. Les Français connaissent bien l'utilité des forteresses, car, depuis le Brabant jusqu'au Dauphiné, c'est comme une double chaîne de places fortes; la frontière de la France, du côté de l'Allemagne, est comme une gueule ouverte de lion, qui présente deux rangées de dents menaçantes et redoutables, et qui a l'air de vouloir tout engloutir. Cela suffit pour faire voir le grand usage des villes fortifiées.