<273>le prince n'est que l'organe de son ministre, et il ne sert tout au plus qu'à représenter aux yeux du peuple le fantôme vain de la majesté royale; et sa personne est aussi inutile à l'État que celle du ministre lui est nécessaire. Chez les souverains de la première espèce, le bon choix des ministres peut faciliter leur travail, sans cependant influer beaucoup sur le bonheur du peuple; chez ceux de la seconde espèce, le salut du peuple et le leur dépend du bon choix des ministres.
Il n'est pas aussi facile qu'on le pense à un souverain de bien approfondir le caractère de ceux qu'il veut employer dans les affaires; car les particuliers ont autant de facilité à se déguiser devant leurs maîtres que les princes trouvent d'obstacles pour dissimuler leur intérieur aux yeux du public.
Il en est du caractère des gens de cour comme du visage des femmes fardées : à l'aide de l'artifice, la ressemblance est parfaitement observée. Les rois ne voient jamais les hommes tels qu'ils sont dans leur état naturel, mais tels qu'ils veulent paraître. Un homme qui se trouvera à la messe au moment de la consécration, un courtisan qui se trouvera à la cour dans la présence du prince, sera tout différent de ce qu'il est dans une société d'amis, et celui qu'on prenait pour un Caton à la cour est censé l'Anacréon de la ville; le sage en public est fou dans sa maison, et tel qui fait tout haut le fastueux étalage de sa vertu, sentait tout bas le honteux démenti que lui donnait son cœur.
Ceci n'est qu'un tableau du déguisement ordinaire; mais que n'est-ce point lorsque l'intérêt et l'ambition s'en mêlent, lorsqu'un poste vacant est convoité aussi avidement que le pouvait être Pénélope par sa nombreuse cour d'amants! L'avarice du courtisan augmente ses assiduités pour le prince et ses attentions sur lui-même; il emploie toutes les voies de séduction que son esprit peut lui suggérer pour se rendre agréable; il flatte le prince, il entre dans ses goûts, il approuve ses passions : c'est un caméléon qui prend toutes les couleurs qu'il réfléchit.
Après tout, si Sixte-Quint a pu tromper soixante-dix cardinaux qui devaient le connaître, combien, à plus forte raison, n'est-il pas facile à un particulier de surprendre la pénétration du souverain qui a manqué d'occasions pour l'approfondir!