<37>dois vous le prouver. Cette erreur a plus d'une source. Il paraît que le Créateur ne nous a pas destinés pour posséder beaucoup de science et pour faire un grand chemin dans le pays des connaissances : il a placé les vérités dans des abîmes que nos faibles lumières ne sauraient approfondir, et il les a entourées d'une épaisse haie d'épines. La route de la vérité offre des précipices de tous côtés; on ne sait quel sentier suivre pour éviter ces dangers; et si l'on est assez heureux pour les avoir franchis, on trouve sur son chemin un labyrinthe où le fil merveilleux d'Ariane n'est d'aucun usage, et d'où on ne peut jamais se tirer. Les uns courent après un fantôme imposteur qui les trompe par ses prestiges, et leur donne pour bonne monnaie ce qui est de faux aloi; ils s'égarent, semblables à ces voyageurs qui suivent dans l'obscurité les feux follets dont la clarté les séduit. D'autres devinent ces vérités si secrètes; ils croient arracher le voile de la nature, ils font des conjectures, et c'est un pays où il faut avouer que les philosophes ont fait de grandes conquêtes. Les vérités sont placées si loin de notre vue, qu'elles deviennent douteuses, et prennent de leur éloignement même un air équivoque. Il n'en est presque aucune qui n'ait été combattue; c'est qu'il n'en est aucune qui n'ait deux faces : prenez-la d'un côté, elle paraît incontestable; prenez-la de l'autre, c'est la fausseté même. Rassemblez tout ce que votre raisonnement vous a fourni pour et contre, réfléchissez, délibérez, pesez bien, vous ne saurez à quoi vous déterminer. Tant il est vrai qu'il n'y a que le nombre des vraisemblances qui donne du poids à l'opinion des hommes. Si quelque vraisemblance pour ou contre leur échappe, ils prennent le mauvais parti; et comme jamais l'imagination ne peut leur offrir avec une même force le pour et le contre, ils se détermineront toujours par faiblesse, et la vérité se dérobe à leurs yeux.
Je suppose qu'une ville soit située dans une plaine, que cette ville soit assez longue, et qu'elle ne contienne qu'une rue; je suppose encore qu'un voyageur qui n'a jamais entendu parler de cette ville s'y rende, et qu'il en voie toute la longueur : il jugera qu'elle est immense, parce qu'il ne la voit que d'un côté, et son jugement sera très-faux, puisque nous avons vu qu'elle ne contenait qu'une rue. Il en est de même des vérités, lorsque nous les