<44>motif de ceux qui tombent dans l'erreur est louable; ils cherchent la vérité, ils s'égarent dans le chemin, et s'ils ne la trouvent point, ce n'en était pas moins leur volonté; ils manquaient de guides, ou, ce qui pis est, ils en avaient de mauvais; ils cherchaient le chemin de la vérité, mais leurs forces n'étaient pas suffisantes pour y arriver. Pourrait-on condamner un homme qui se noierait en passant un fleuve extrêmement large qu'il n'aurait pas la force de franchir? A moins que de n'avoir rien d'humain, on compatirait à sa triste destinée, on plaindrait un homme si plein de courage, capable d'un dessein aussi généreux et aussi hardi, de n'avoir point été assez secouru de la nature; sa témérité paraîtrait digne d'un sort plus heureux, et ses cendres seraient arrosées de larmes. Tout homme qui pense doit faire des efforts pour connaître la vérité; ces efforts sont dignes de nous, quand même ils surpasseraient notre capacité. C'est un assez grand malheur pour nous que ces vérités soient impénétrables; il ne faut pas l'augmenter par notre mépris pour ceux qui font naufrage à la découverte de ce nouveau monde; ce sont des Argonautes généreux qui s'exposent pour le salut de leurs compatriotes, et c'est assurément un travail bien rude que celui d'errer dans les pays imaginaires; l'air de ces contrées nous est contraire, nous ne connaissons point le langage des habitants, et nous ne savons pas marcher à travers ces sables mouvants.
Croyez-moi, Philante, ayons du support pour l'erreur; c'est un poison subtil qui se glisse dans nos cœurs sans que nous nous en apercevions. Moi qui vous parle, je ne suis pas sûr d'en être exempt. Ne donnons jamais dans le ridicule orgueil de ces savants infaillibles dont les paroles doivent passer pour autant d'oracles; soyons pleins d'indulgence pour les erreurs les plus palpables, et ayons de la condescendance pour les opinions de ceux avec lesquels nous vivons en société. Pourquoi troublerions-nous la douceur des liens qui nous unissent, pour l'amour d'une opinion sur laquelle nous manquons nous-mêmes de conviction? Ne nous érigeons point en chevaliers défenseurs d'une vérité inconnue, et laissons à l'imagination de chacun la liberté de composer le roman de ses idées. Les siècles des héros fabuleux, des miracles et des extravagances chevaleresques sont passés. Don Quichotte se