<51>la sphère de son activité, et, depuis la géométrie la plus sublime jusqu'à la poésie, la force de son génie a tout soumis.
Quiconque a la connaissance du monde, et quiconque a lu les ouvrages de M. de Voltaire, concevra sans peine que l'envie ne pouvait l'épargner : un mérite supérieur, joint à une vaste réputation, révolte d'ordinaire les demi-savants, les amphibies d'érudition et d'ignorance; ces misérables, étant eux-mêmes sans talents, maltraitent fièrement ceux qu'ils pensent leur être inférieurs, et persécutent opiniâtrement ceux dont l'éclatante lumière les éclipse. Aussi tout ce qu'ont pu la malice et la calomnie, l'ingratitude et la haine, s'est ligué contre M. de Voltaire; il n'y a aucune sorte de persécution qu'il n'ait soufferte, et des magistrats qui, pour le soin de leur propre gloire, auraient dû le protéger, l'ont abandonné lâchement à la haine de ceux que leurs crimes ont rendus ses ennemis.
Malgré une vingtaine de sciences qui partagent M. de Voltaire, malgré ses fréquentes infirmités et les chagrins que lui donnent d'indignes envieux, il a conduit sa Henriade à un point de maturité où je ne sache pas qu'aucun poëme soit jamais parvenu.b
On trouve toute la sagesse imaginable dans la conduite et dans l'économie de la Henriade. L'auteur a profité des reproches qu'on a faits à Homère et à Virgile. Les chants de l'Iliade ont peu ou point de connexion les uns avec les autres; ce qui leur a mérité le nom de rapsodies. Dans la Henriade, on trouve une liaison intime entre tous les chants; ce n'est qu'un même sujet divisé par l'ordre des temps en dix actions principales. Le dénoûment de la Henriade est naturel : c'est la conversion de Henri IV et son entrée à Paris, qui mettent fin aux guerres civiles des ligueurs qui troublaient la France; et en cela le poëte français est infiniment supérieur au poëte latin, qui ne termine pas son Enéide d'une manière aussi intéressante qu'il l'avait commencée. Ce ne sont plus alors que les étincelles du beau feu que le lecteur admirait dans le commencement de ce poëme. On dirait que Virgile en a composé les premiers chants dans la fleur de sa jeunesse, et qu'il a composé les derniers dans cet âge où l'imagination mou-
b Voyez t. VII, p. 65.