<52>rante et le feu de l'esprit à moitié éteint ne permet plus aux guerriers d'être héros, ni aux poëtes d'écrire.
Si le poëte français imite en quelques endroits Homère et Virgile, c'est pourtant toujours une imitation qui sent l'original, et dans laquelle on voit que le jugement du poëte français est infiniment supérieur au poëte grec et au poëte latin. Comparez la descente d'Ulysse aux enfersa avec le septième chant de la Henriade, vous verrez que ce dernier est enrichi d'une infinité de beautés que M. de Voltaire ne doit qu'à lui-même; la seule idée d'attribuer au rêve de Henri IV ce qu'il voit dans le ciel, dans les enfers, et ce qui lui est pronostiqué dans le temple du Destin, vaut seule toute l'Iliade; car le rêve de Henri IV ramène tout ce qui lui arrive aux règles de la vraisemblance; au lieu que le voyage d'Ulysse aux enfers est dépourvu de tous les agréments qui auraient pu donner l'air de vérité à l'ingénieuse fiction d'Homère. De plus, tous les épisodes de la Henriade sont placés dans leurs lieux. L'art est si bien caché par l'auteur, qu'il est difficile de l'apercevoir, tant il paraît naturel; et l'on dirait que ces fruits qu'a produits la fécondité de son imagination, et qui embellissent tous les endroits de ce poëme, n'y sont mis que par nécessité. Vous n'y trouverez point de ces petits détails où se noient tant d'auteurs à qui la sécheresse et l'enflure tiennent lieu de génie. M. de Voltaire s'applique à décrire d'une manière intéressante les sujets pathétiques; il possède le grand art d'émouvoir le cœur. Tels sont des endroits touchants, la mort de Coligny, l'assassinat de Valois, le combat du jeune d'Ailly, le congé que Henri IV prend de la belle Gabrielle d'Estrées, et la mort du brave d'Aumale.a On se sent ému chaque fois qu'on en fait la lecture. En un mot, l'auteur ne s'arrête qu'aux endroits intéressants, et il passe légèrement sur ceux qui ne feraient qu'allonger son poëme; il n'y a ni du trop ni du trop peu dans la Henriade.
Le merveilleux que l'auteur a employé ne peut choquer aucun lecteur judicieux : tout y est ramené au vraisemblable par le système de la religion; tant la poésie et l'éloquence savent l'art de
a Odyssée, chant XI.
a Henriade, chant II, v. 207; V, v. 279; VIII, v. 207; IX, v. 339; X, v. 148.