<70>à peine pourra-t-il retenir le nom de ses provinces, et sa grandeur ne servira qu'à mettre en évidence sa véritable petitesse.
Ce n'est point la grandeur du pays que le prince gouverne qui lui donne de la gloire, ce ne seront pas quelques lieues de plus de terrain qui le rendront illustre, sans quoi ceux qui possèdent le plus d'arpents de terre devraient être les plus estimés.
L'erreur de Machiavel sur la gloire des conquérants pouvait être générale de son temps, mais sa méchanceté ne l'était pas assurément. Il n'y a rien de plus affreux que certains moyens qu'il propose pour conserver des conquêtes; à les bien examiner, il n'y en aura pas un qui soit raisonnable ou juste. « On doit, dit ce méchant homme, éteindre la race des princes qui régnaient avant votre conquête. » Peut-on lire de pareils préceptes sans frémir d'horreur et d'indignation? C'est fouler aux pieds tout ce qu'il y a de saint et de sacré dans le monde; c'est ouvrir à l'intérêt le chemin de tous les crimes. Quoi! si un ambitieux s'est emparé violemment des États d'un prince, il aura le droit de le faire assassiner, empoisonner! Mais ce même conquérant, en agissant ainsi, introduit une pratique dans le monde qui ne peut tourner qu'à sa ruine; un autre, plus ambitieux et plus habile que lui, le punira du talion, envahira ses États, et le fera périr avec la même cruauté qu'il fit périr son prédécesseur. Le siècle de Machiavel n'en fournit que trop d'exemples : ne voit-on pas le pape Alexandre VI prêt d'être déposé pour ses crimes, son abominable bâtard César Borgia dépouillé de tout ce qu'il avait envahi, et mourant misérablement, Galéas Sforce assassiné au milieu de l'église de Milan, Louis Sforce l'usurpateur mort en France dans une cage de fer, les princes d'York et de Lancastre se détruisant tour à tour, les empereurs de Grèce assassinés les uns par les autres, jusqu'à ce qu'enfin les Turcs profitèrent de leurs crimes, et exterminèrent leur faible puissance? Si aujourd'hui, parmi les chrétiens, il y a moins de révolutions, c'est que les principes de la saine morale commencent à être plus répandus; les hommes ont plus cultivé leur esprit, ils en sont moins féroces, et peut-être est-ce une obligation qu'on a aux gens de lettres qui ont poli l'Europe.
La seconde maxime de Machiavel est que le conquérant doit