CHAPITRE XV.
Les peintres et les historiens ont cela de commun entre eux, qu'ils doivent copier la nature. Les premiers peignent les traits et les coloris des hommes; les seconds, leurs caractères et leurs actions : il se trouve des peintres singuliers qui n'ont peint que des monstres et des diables.
Machiavel représente l'univers comme un enfer, et tous les hommes comme des damnés; on dirait que ce politique a voulu calomnier tout le genre humain par une haine particulière, et qu'il ait pris à tâche d'anéantir la vertu, peut-être pour rendre tous les habitants de ce continent ses semblables.
Machiavel avance qu'il n'est pas possible d'être tout à fait bon dans ce monde, aussi scélérat et aussi corrompu que l'est le genre humain, sans que l'on périsse; et moi, je dis que pour ne point périr il faut être bon et prudent. Les hommes ne sont, d'ordinaire, ni tout à fait bons ni tout à fait méchants; mais, et méchants, et bons, et médiocres s'accorderont tous à ménager un prince puissant, juste et habile. J'aimerais mieux faire la guerre à un tyran qu'à un bon roi, à un Louis XI qu'à un Louis XII, à un Domitien qu'à un Trajan; car le bon roi sera bien servi, et les sujets du tyran se joindront à mes troupes. Que j'aille en Italie avec dix mille hommes contre un Alexandre VI, la moitié de l'Italie sera pour moi; que j'y entre avec quarante mille hommes contre un Innocent XI, toute l'Italie se soulèvera pour me faire périr. Jamais roi bon et sage n'a été détrôné en Angle<112>terre par de grandes armées; et tous leurs mauvais rois ont succombé sous des compétiteurs qui n'ont pas commencé la guerre avec quatre mille hommes de troupes réglées. Ne sois donc point méchant avec les méchants, mais sois vertueux et intrépide avec eux : tu rendras ton peuple vertueux comme toi, tes voisins voudront t'imiter et les méchants trembleront.