<105>DEMANDE. En vous conduisant de la sorte, ne sacrifiez-vous pas vous-même toutes vos passions?

RÉPONSE. Je ne leur abandonne pas le frein; et si je les réprime, c'est pour mon propre avantage, pour maintenir les lois qui protégent le faible contre les attentats du fort, pour soutenir ma réputation, et pour ne point encourir les punitions que ces lois infligent aux transgresseurs.

DEMANDE. Il est vrai que les lois punissent les crimes publics; mais combien de mauvaises actions, enveloppées de ténèbres, se cachent à l'œil pénétrant de Thémis! Pourquoi ne seriez-vous pas du nombre de ces heureux coupables qui jouissent de leurs forfaits à l'ombre de l'impunité? Si donc il se présentait une façon furtive de vous enrichir, la laisseriez-vous échapper?

RÉPONSE. Si par des voies innocentes je pouvais faire des acquisitions, sans doute que je ne les négligerais pas; mais si c'était par des moyens malhonnêtes, j'y renoncerais sur-le-champ.

DEMANDE. Pourquoi?

RÉPONSE. Parce qu'il n'y a rien de si caché qui ne parvienne au jour; le temps découvre tôt ou tard la vérité. Je posséderais des biens mal acquis, en tremblant, et je passerais ma vie dans la cruelle attente du moment qui me déshonorerait à jamais devant le public en découvrant ma turpitude.

DEMANDE. Cependant la morale du grand monde est bien relâchée, et si l'on voulait examiner de quel droit chacun possède ses biens, que d'injustices, que de fraudes, que de mauvaise foi l'on découvrirait! Ces exemples ne vous encourageraient-ils pas à les imiter?

RÉPONSE. Ces exemples me feraient gémir sur la perversité des hommes. Et comme ni bossu ni aveugle ne me donne envie de l'être à leur exemple, je crois de même qu'il est indigne d'une âme vertueuse de se dégrader au point de se modeler sur le vice.

DEMANDE. H y a cependant des crimes cachés.

RÉPONSE. J'en conviens; mais les criminels ne sont pas heureux, ils sont tourmentés, comme je vous l'ai dit, par la crainte d'être découverts, et par les plus violents remords. Ils sentent qu'ils jouent un rôle imposteur, qu'ils couvrent leur scélératesse