<147>prudentes mesures qu'emploient des gouvernements sages et prévoyants? Faudra-t-il prouver en notre siècle que, sans de vaillants soldats qui défendent les royaumes, ils deviendraient la proie du premier occupant? Oui, monsieur le soi-disant philosophe, la France entretient de grandes armées. Aussi n'est-elle plus exposée à ces temps de confusion et de trouble où elle se déchirait par des guerres civiles, plus pernicieuses et plus cruelles que les guerres étrangères. Il paraît que vous regrettez ces temps où de puissants vassaux ligués ensemble pouvaient résister au souverain qui n'avait pas des forces suffisantes à leur opposer. Non, vous n'êtes point l'auteur de l'Essai sur les préjugés; ce livre ne peut avoir été écrit que par quelque chef de parti de la Ligue ressuscité, qui, respirant encore l'esprit de faction et de trouble, veut exciter le peuple à la rébellion contre l'autorité légitime du souverain. Mais que n'auriez-vous pas dit, si dans le cours de la dernière guerre il fût arrivé que les Anglais eussent pénétré jusqu'aux portes de Paris? Avec quelle impétuosité ne vous seriez-vous pas déchaîné contre le gouvernement qui aurait si mal pourvu à la sûreté du royaume et de la capitale! Et vous auriez eu raison. Pourquoi donc, homme inconséquent et ivre de tes rêveries, tâches-tu de flétrir et d'avilir ces vraies colonnes de l'État, ce militaire respectable aux yeux d'un peuple qui lui doit la plus grande reconnaissance? Quoi! ces défenseurs intrépides qui s'immolent, les victimes de la patrie, tu leur envies les honneurs et les distinctions dont ils jouissent à si juste titre! Ils les ont payés de leur sang, et c'est au risque de leur repos, de leur santé et de leur vie qu'ils les ont obtenus. O l'indigne mortel, qui veut avilir le mérite, qui veut lui enlever les récompenses qui lui sont dues, la gloire qui l'accompagne, et étouffer les sentiments de reconnaissance que lui doit le public!

Ne pensez pas que les militaires soient les seuls qui aient à se plaindre de notre auteur. Il ne se trouve aucune condition dans le royaume à l'abri de ses traits. Il nous apprend que les places de la justice sont vénales en France. Il y a longtemps qu'on le sait. Pour connaître la source de cet abus, il faut remonter, si je ne me trompe, aux temps où le roi Jean a fut prisonnier des Anglais, ou, pour plus de sûreté, à la prison de François Ier. La France se trouvait engagée par honneur à délivrer son roi des mains de Charles-Quint, qui ne voulait lui rendre la liberté que conditionnellement. Le trésor étant épuisé, et ne pouvant trouver une somme aussi considérable qu'on l'exigeait pour la rançon du Roi, on eut recours au funeste expédient de mettre en vente les charges de judicature, pour en racheter la liberté de ce prince. Des guerres presque continuelles qui suivirent après la délivrance de François Ier, les troubles intestins et les guerres civiles qui s'allumèrent sous ses descendants, empêchèrent les monarques d'acquitter cette dette, dont ils payent encore actuellement la finance. Le malheur de la France a voulu que jusqu'en nos jours Louis XV ne s'est pas trouvé dans une situation plus favorable que ses ancêtres; ce qui l'a empêché de restituer aux propriétaires les avances considérables qu'ils avaient faites dans ces temps calamiteux. Faut-il donc s'en prendre à Louis XV, si cet ancien abus n'a pas encore pu être aboli? Sans doute que le droit de décider de la fortune des particuliers ne devrait pas s'acquérir par de l'argent; mais qu'on en accuse les auteurs, qui seuls en sont coupables, et non pas un roi qui en est innocent. Quoique ces abus subsistent, l'auteur sera néanmoins obligé d'avouer qu'on ne peut avec vérité charger le parlement de Paris de prévarication, et que la vénalité des charges n'a point influé sur son équité. Que l'auteur se plaigne, à la bonne heure, d'un nombre confus de lois, variant de province en province, qui dans un royaume comme la France devraient être simples et uniformes. Louis XIV voulut entreprendre la réforme des lois; mais toutes sortes d'obstacles l'empêchèrent de perfectionner son ouvrage. Que notre auteur sache donc, s'il l'ignore, et comprenne, s'il le peut, les peines infinies et les obstacles renaissants que rencontrent ceux qui veulent toucher aux usages consacrés par la coutume. Il faut descendre dans des détails infinis pour s'éclaircir de la liaison intime de différentes choses que la succession du temps a formées, et auxquelles on ne peut toucher sans tomber dans des inconvénients pires que le mal qu'on veut guérir; c'est le cas où l'on peut dire que la critique est aisée, mais l'art difficile.

Approchez à présent, monsieur le contrôleur général des


a Voyez t. IV, p. 124, et t. VIII, p. 135.