<163>c'était le moyen de retirer les hommes de leur sotte et stupide crédulité. L'auteur avait encore une voie plus abrégée pour aller à cette même fin. Après avoir étalé les arguments contre l'immortalité de l'âme que Lucrèce expose avec tant de force dans son troisième livre, il devait en conclure que, tout finissant pour l'homme avec cette vie, et ne lui restant nul objet de crainte ni d'espérance après sa mort, il ne peut subsister par conséquent aucun rapport entre lui et la Divinité, qui ne peut ni le punir ni le récompenser. Sans ce rapport, il n'y a plus ni culte ni religion, et la Divinité ne devient pour l'homme qu'un objet de spéculation et de curiosité. Mais que de singularités et de contradictions dans l'ouvrage de ce philosophe! Après avoir laborieusement rempli deux volumes de preuves de son système,15 il avoue qu'il y a peu d'hommes capables de l'embrasser et de s'y fixer. On croirait donc qu'aussi aveugle qu'il suppose la nature, il agit sans cause, et qu'une nécessité irrésistible lui fait composer un ouvrage capable de le précipiter dans les plus grands périls, sans que lui ni personne en puisse jamais recueillir le moindre fruit.

Venons-en à présent aux souverains, que l'auteur a singulièrement pris à tâche de décrier. J'ose l'assurer que jamais les ecclésiastiques n'ont dit aux princes les sottises qu'il leur prête. S'il leur arrive de qualifier les rois d'images de la Divinité, c'est sans doute dans un sens très-hyperbolique, quoique l'intention soit de les avertir par cette comparaison de ne point abuser de leur autorité, d'être justes et bienfaisants, selon l'idée vulgaire qu'on se forme de la Divinité chez toutes les nations. L'auteur se figure qu'il se fait des traités entre les souverains et les ecclésiastiques, par lesquels les princes promettent d'honorer et d'accréditer le clergé, à condition qu'il prêche la soumission aux peuples. J'ose l'assurer que c'est une idée creuse, que rien n'est plus faux ni plus ridiculement imaginé que ce soi-disant pacte. Il est très-probable que les prêtres tâchent d'accréditer cette opinion, pour se faire valoir et pour jouer un rôle; il est certain que des souverains, par leur crédulité, leur superstition, leur ineptie et leur aveuglement pour l'Église, donnent lieu de les soupçonner d'une pareille intelligence; mais tout dépend effectivement du


15 Seconde partie, chap. XIII.