<239>est aucun de parfait. Vos devoirs sont donc égaux; soit monarchie, ou république, cela revient au même.

Allons plus en avant. Je me souviens que votre lettre fait mention de quelque idée des encyclopédistesa dont on vous a parlé. Il y a quelques années que nous étions inondés de leurs ouvrages. Parmi un petit nombre de bonnes choses et un petit nombre de vérités qu'on y trouve, le reste m'a paru un ramas de paradoxes et d'idées légèrement avancées qu'on aurait dû revoir et corriger avant de les exposer au jugement du public. Dans un sens il est vrai que la terre est l'habitation des hommes, comme l'air l'est des oiseaux, l'eau, des poissons, et le feu, des salamandres, s'il y en avait. Mais ce n'était pas la peine d'annoncer avec tant d'emphase une vérité aussi triviale. Vous dites encore, d'après des encyclopédistes, que le sage est citoyen de l'univers. Je vous l'accorde, si l'auteur entend par là que les hommes sont tous frères et qu'ils doivent tous s'aimer; mais je cesse d'être de son avis, si son intention est de former des vagabonds, des gens qui, ne tenant à rien, courent le monde par ennui, deviennent fripons par nécessité, et finissent, soit dans un lieu, soit dans un autre, par être punis de la vie désordonnée qu'ils ont menée. De semblables idées entrent et s'inculquent facilement dans des têtes légères; les suites qu'elles produisent sont toujours opposées au bien de la société, parce qu'elles mènent à dissoudre l'union sociale, en déracinant insensiblement de l'esprit des citoyens le zèle et l'attachement qu'ils doivent à leur patrie. Ces mêmes encyclopédistes ont de même jeté tout le ridicule qu'ils ont pu sur l'amour de la patrie tant recommandé par l'antiquité, et qui de tout temps a été le principe des plus belles actions. Ils raisonnent aussi pitoyablement sur ce sujet que sur bien d'autres : ils vous disent doctoralement qu'il n'y a point d'être qui s'appelle patrie, que c'est une idée creuse de quelque législateur qui a créé ce mot pour gouverner des citoyens, et que par conséquent ce qui n'existe pas réellement ne saurait mériter notre amour. Cela s'appelle pitoyablement argumenter; ils ne distinguent pas ce qu'on nomme selon le langage de l'école ens


a D'Alembert prend la défense des véritables encyclopédistes dans deux de ses lettres au Roi, celles du 19 novembre et du 27 décembre 1779.