<28>sans lui laisser le temps de voir le jour! Mais que le lecteur se dépouille de tous les préjugés de la coutume, et qu'il daigne prêter quelque attention aux réflexions que je vais lui présenter.

Les lois n'attachent-elles pas un degré d'infamie aux couches clandestines? Une fille née avec un tempérament trop tendre, trompée par les promesses d'un débauché, ne se trouve-t-elle pas, par les suites de sa crédulité, dans le cas d'opter entre la perte de son honneur ou celle du fruit malheureux quelle a conçu? N'est-ce pas la faute des lois de la mettre dans une situation aussi violente? Et la sévérité des juges ne prive-t-elle pas l'État de deux sujets à la fois, de l'avorton qui a péri, et de la mère, qui pourrait réparer abondamment cette perte par une propagation légitime? On dit à cela qu'il y a des maisons d'enfants trouvés. Je sais qu'elles sauvent la vie à une infinité de bâtards; mais ne vaudrait-il pas mieux trancher le mal par ses racines, et conserver tant de pauvres créatures qui périssent misérablement, en abolissant les flétrissures attachées aux suites d'un amour imprudent et volage?

Mais rien de plus cruel que la question. Les Romains la donnaient à leurs esclaves, qu'ils regardaient comme une espèce de bétail domestique; jamais aucun citoyen ne la recevait.

La question se donne en Allemagne aux malfaiteurs, après qu'ils sont convaincus, afin d'arracher de leur propre bouche l'aveu de leurs crimes; elle se donne en France pour avérer le fait ou pour découvrir les complices. Autrefois les Anglais avaient l'ordéal, ou l'épreuve par le feu8 et par l'eau;9 ils ont à présent une espèce de question moins dure que l'ordinaire, mais qui revient à peu près à la même chose.

Qu'on me le pardonne, si je me récrie contre la question : j'ose prendre le parti de l'humanité contre un usage honteux à des chrétiens et à des peuples policés, et, j'ose ajouter, contre un usage aussi cruel qu'inutile.


8 L'ordéal par le feu : on mettait entre les mains de l'accusé un morceau de fer ardent; s'il était assez heureux pour ne se point brûler, il était absous, sinon, on le punissait comme coupable.

9 L'ordéal par l'eau : on liait le coupable et on le jetait dans l'eau; s'il surnageait, il était absous.