<29>Quintilien, le plus sage et le plus éloquent des rhéteurs, dit, en traitant de la question, que c'est une affaire de tempérament. Un scélérat vigoureux nie le fait; un innocent d'une complexion faible l'avoue. Un homme est accusé, il y a des indices, le juge est dans l'incertitude, il veut s'éclaircir, ce malheureux est mis à la question. S'il est innocent, quelle barbarie de lui faire souffrir le martyre! Si la force des tourments l'oblige à déposer contre lui-même, quelle inhumanité épouvantable que d'exposer aux plus violentes douleurs et de condamner à la mort un citoyen vertueux contre lequel il n'y a que des soupçons! Il vaudrait mieux pardonner à vingt coupables que de sacrifier un innocent. Si les lois se doivent établir pour le bien des peuples, faut-il qu'on en tolère de pareilles, qui mettent les juges dans le cas de commettre méthodiquement des actions criantes qui révoltent l'humanité?

Il y a huit ans que la question est abolie en Prusse;a on est sûr de ne point confondre l'innocent et le coupable, et la justice ne s'en fait pas moins.

Examinons à présent les lois vagues et les procédures qui sont dans le cas d'être réformées.

Il y avait une loi en Angleterre qui défendait la bigamie : un homme fut accusé d'avoir cinq femmes; et comme la loi ne s'expliquait pas sur ce cas, et qu'on l'interprète littéralement, il fut mis hors de cour et de procès. Pour que cette loi fût claire, elle aurait dû porter : Que quiconque prend plus d'une femme soit puni, etc. Les lois vagues et littéralement interprétées en Angleterre ont donné lieu aux abus les plus ridicules.10

Des lois précises ne donnent point lieu à la chicane, elles doivent s'entendre selon le sens de la lettre; lorsqu'elles sont vagues ou obscures, elles obligent de recourir à l'intention du législateur, et au lieu de juger des faits, on s'occupe à les définir.


10 De Murait [Lettres sur les Anglais et les Français et sur d'autres sujets. Nouvelle édition corrigée et augmentée par l'auteur même (sans indication de nom d'auteur ni de lieu d'impression) 1728, in-8, t. I, p. 148]. Un homme coupa le nez à son ennemi : on voulut le châtier d'avoir mutilé un citoyen; mais il soutint que ce qu'il avait coupé n'était point un membre, et le parlement déclara par un arrêt qu'on regarderait le nez comme un membre.

a Elle fut abolie le 3 juin 1740. Voyez Friderici Behmeri Novum jus controversum. Lemgoviae, 1771, in-4, t. II, p. 478 et 479.