<44>commettre une injustice criante et le comble des méchancetés. Ces pestes publiques diffèrent en ce qu'il y a un intérêt bas dans le flatteur, et un fonds inépuisable d'envie dans le satirique; ils sont comme une rouille qui ne s'attache qu'aux favoris de la fortune ou au mérite supérieur des talents.
Que Virgile, qu'Horace aient eu la bassesse de flatter un tyran aussi lâche que cruel, leur exemple doit détourner tout homme, pour peu qu'il soit amoureux de sa réputation, de les imiter; que Juvénal ait employé toute l'amertume de son style mordant pour décrier un ministre comme Séjan, un monstre comme Néron ou comme Caligula, c'était un opprobre qu'ils avaient mérité par une conduite infâme et par l'extravagance de leurs cruautés. Mais où sont les monstres qui, de nos jours, leur ressemblent? Dans les siècles précédents, nous comptons un Louis XI, un Charles IX, rois de France, un Philippe II, roi d'Espagne, un pape Alexandre VI, qui étaient dignes de la haine publique; aussi l'histoire, qui doit rendre un hommage pur à la vérité et recueillir soigneusement les faits, ne les a-t-elle pas ménagés; ils sont traités avec toute la rigueur possible par ceux qui nous ont transmis leurs règnes. Dans ce siècle, les hommes en place, les ministres, les favoris, les souverains mêmes reçoivent à peu près la même éducation; les mœurs sont adoucies, l'esprit philosophique a gagné, et fait tous les jours de nouveaux progrès; les sciences et les arts répandent un vernis de politesse et de décence qui rend les esprits plus flexibles et plus traitables; le dehors des hommes bien élevés est à peu près semblable en Europe.
S'il est vrai que nous avons moins de ces génies extraordinaires et transcendants qui s'élèvent avec tant de supériorité sur leurs égaux, comme l'antiquité en a produit, nous avons au moins l'avantage de ne point voir dans les premières places des monstres de cruauté que le monde doit avoir en exécration. Il faut convenir que les grands ne font pas tout le bien dont ils sont capables, que les courtisans ont des passions, et les rois, des faiblesses; mais ils ne seraient pas hommes, s'ils étaient parfaits. Quelle démence y a-t-il donc à suivre les traces de Juvénal, lorsque l'on manque de sujets pareils aux siens, pour exercer le misérable talent de la satire! Y a-t-il rien de plus pitoyable que