<65>intégral et infinitésimal. Ces barbares prétendent nous couvrir de ridicule en rapportant qu'un grand poëte s'était vanté d'avoir mis le mot de perruque dans un vers;b qu'ils ne rougissent donc pas d'apprendre ce qu'ils traitent en air de dédain et d'orgueil.
La poésie française attache par délicatesse une idée basse à de certains mots populaires, qu'il faut périphraser quand on a absolument besoin de s'en servir; cette gêne coûte, parce qu'il faut exprimer une idée commune par un tour noble. Racine a même singulièrement réussi à enchevêtrer de ces termes bas entre des épithètes nerveuses qui les éclipsaient, pour ainsi dire. En voici un exemple :
Et son corps désormais privé de sépulture
Des chiens dévorants deviendra la pâture.c
Il faut avoir fait soi-même beaucoup de vers pour sentir tout le mérite de la difficulté vaincue; mais qu'est-ce que des vers pour des despotes du firmament? Ces mêmes despotes ont observé, à ce qu'il paraît, par un tube défectueux, que les vrais poëtes dédaignaient les idées riantes; ils n'en ont point eux-mêmes, les pauvres gens, et ils l'avouent assez naturellement, quand ils nous assurent qu'ils s'ennuient de tout. Laissons-les bâiller tout à leur aise, fût-ce au troisième ciel, et ne renonçons aux idées riantes que dans les tragédies et les élégies. Ils ne s'en tiennent pas là, tout en bâillant; ils veulent nous enlever la province de la mythologie; mais nous les accablerons des foudres du redoutable Despréaux :
Bientôt ils défendront de peindre la Prudence,
De donner à Thémis ni bandeau, ni balance, etc.a
Ils veulent bannir l'ancienne mythologie pour que nous en
b Boileau Despréaux, Épître X, v. 26, et Lettre IX, à M. de Maucroix.
c Ces vers, dont le second est défectueux, ne sont pas de Racine; il est probable que c'est une réminiscence imparfaite des vers suivants : Et moi, je lui tendais les mains pour l'embrasser;
Mais je n'ai plus trouvé qu'un horrible mélange
D'os et de chair meurtris et traînés dans la fange,
Des lambeaux pleins de sang, et des membres affreux
Que des chiens dévorants se disputaient entre eux.
Athalie
, acte II, scène V.a Boileau, L'Art poétique, chant III, v. 227 et 228.