63. AU CONSEILLER PRIVÉ D'ÉTAT BARON DE MARDEFELD A SAINT-PÉTERSBOURG.

Berlin, 6 septembre 1740.

J'ai vu par votre apostille du 20 du mois passé, que la cour de Russie a agréé purement et simplement le projet du traité d'alliance que je vous ai envoyé le 6 du mois passé, aussi bien que l'article séparé et le second articlesecret; mais qu'il n'en est pas de même du premier article secret, et qu'il rencontre des obstacles insurmontables, le duc de Courlande et le comte d'Ostermann vous ayant dit que l'impératrice de Russie était hors d'état de pouvoir se mêler dans les affaires de succession qui dépendent de la décision de l'Empire, qu'elle l'avait refusé à l'Empereur et à la cour de Saxe, et que les noms des duchés de Juliers et de Bergue ne se trouvaient nulle part dans ces deux traités.

Je ne sais si je ne dois regarder comme une pure défaitetout ce que le comte d'Ostermann vous a dit là-dessus, et comme une marque certaine que la cour de Russie a pris des engagements secrets en faveur de la cour de Saxe par rapport à cette succession, malgré les assurances du comte d'Ostermann, qui se contredit en quelque façon lui-même en avançant que les noms des duchés de Juliers et de Bergue ne se trouvent nulle part dans les traités conclus entre la Russie et l'Empereur et la Saxe, tandis que de l'autre côté il dit qu'on ne pourra que tout au plus promettre ses bons offices dans une affaire de cette nature, et que, selon toutes les apparences raisonnables, on aura au moins accordé cette faveur, quoiqu'assez triviale et chétive, à la cour de Saxe, et par conséquent nommé les deux duchés en question, d'autant plus que vous vous souviendrez qu'il n'y a pas longtemps que ce ministre, dans une explication que vous eûtes avec lui sur le bruit qui courait, comme quoi la cour de Russie avait pris des engagements avec celle de Saxe, enfaveur de ses prétendus droits sur cette succession, n'a point nié qu'on n'ait promis les bons offices de l'Impératrice au roi de Pologne dans cette affaire. Mais voici encore une raison qui me fait soupçonner qu'on ne chemine pas droit sur ce sujet à Pétersbourg. C'est que, si on ne voulait absolument pas se mêler de tout cequi regarde cet article, on n'aurait point refusé la déclaration que vous aviez demandée, il n'y a pas longtemps, à la cour de Russie par ordre de feu le Roi mon père, et qu'on vous avait déjà promise plus d'une fois, que l'Impératrice ne se mêlerait point de cette affaire, et qu'elle ne prendrait point parti contre moi là-dedans ni directement ni indirectement. Comment accorder le refus d'une pareille déclaration avec ce que le comte d'Ostermann vous a dit de l'impossibilité où l'Impératrice se trouvait de se mêler de cette affaire? Au reste, la Russie, en m'accordant cette garantie, comme je l'attends encore de son amitié, neferait rien pour moi qu'elle n'ait déjà fait en faveur de l'Empereur par rapport à la garantie de la <42>Sanction Pragmatique, au roi de Suède surla succession de la maison de Hesse dans ce royaume, quoiqu'elle le tienne fort secret, et que tant d'autres puissances font tous les jours en faveur de successions qui d'ailleurs ne sont nullement de leur ressort, ni pour en connaître et encore moins pour en décider. Tout le monde sait ce que tant de respectables puissances ont fait autrefois par rapport au fameux traité de la partage de la monarchie d'Espagne, aussi bien que dans celui de la quadruple alliance, et que, dans le casdont il s'agit maintenant, le roi d'Angleterre, Charles II, a garanti, par un traité solennel de l'an 1660, à feu mon bisayeul, l'électeur Frédéric-Guillaume, la succession de Juliers et de Bergue. Ces exemples, et tant d'autres qu'on pourrait alléguer, autoriseraient du reste la bonne volonté d'une cour amie et portée à faire plaisir, de passer une garantie en faveur d'un prince dont elle peut attendre des marques d'une reconnaissance bien réelle, si on avait seulement les mains libreslà-dessus. J'espère que vous ne manquerez pas de faire valoir toutes ces raisons et d'autres, que la connaissance que vous avez des affaires de ce pays-là vous suggèrera, pour porter le duc de Courlande et le comte d'Ostermann à faire agréer à l'Impératrice le premier article secret, tel qu'il est couché dans le projet d'alliance.

Mais je me flatte surtout que, quand vous aurez lâché ce que j'ai promis réciproquement au duc de Courlande, il changera de langage, et qu'il ne voudra point perdre une si belle occasion pour s'assurer, pour lui et pour toute sa maison, à jamais la possession d'une dignité et d'un pays, sujette à bien des revers et des révolutions sans l'appui d'une puissance limitrophe, et en état de l'y maintenir contra quoscunque. Aussi n'est-ce qu'à ce prix-là que je puis accorder cette garantie, ce que vous ferez bien sentir au duc de Courlande, et j'attends avec impatience le succès de vos nouvelles remontrances.

Federic.

H. de Podewils.

Nach dem Concept.