415. AU CARDINAL DE FLEURY A ISSY.
Camp de Strehlen, 30 juin 1741.
Monsieur mon Cousin. J'aiété bien charmé de la lettre que vous venez de m'écrire, et flatté au possible de l'amitié du Roi votre maître, dont vous me donnez des assurances aussi fortes que positives. Le secret que vous me demandez ne s'éventera pas ici, ni par ma faute. M. Valory, qui est un très digne sujet, et qui sert son maître en fort honnête homme, joue son rôle on ne saurait mieux au monde, et exécute très religieusement les commissions dont il est chargé. Je profite de cette occasion pour vous envoyer, Monsieur, les réflexions que j'ai faites sur l'état présent de l'Europe; c'est un tableau vrai des opérations qui me paraissent être les plus convenables pour les intérêts de la France et de ses alliés. Vous pouvez à présent compter sur moi pour toute ma vie, comme étant le plus fidèle ami que le Roi votre maître puisse jamais avoir. Je vous prie d'être persuadé en votre particulier de la parfaite estime et de l'affection particulière avec laquelle je suis à jamais etc.
Federic.
Précis des raisons qui obligent le roi de France d'agir incontinent avec une partie de ses armées en Allemagne.
1° Le dessein du roi de France est d'abaisser la maison d'Autriche et de seconder pour cette fin le roi de Prusse et l'électeur de Bavière, qui se sont déclarés ennemis de la reine de Hongrie.
Voici le tableau du temps.
<268>Le roi de Prusse est vivement pressé par les Anglaispour qu'il s'accommode avec la Reine, et l'on ajoute la menace aux sollicitations. L'alliance nouvellement faite, que le roi de Prusse regarde comme sacrée, l'empêche d'entrer dans aucun accommodement au préjudice de ses alliés; mais pour éviter les effets de la mauvaise intention de ses voisins, il les amuse et leur fait naître des espérances, pour donner le temps à l'électeur de Bavière d'entrer dans l'Autriche, et à l'armée française d'entreren Allemagne. Si l'électeur de Bavière diffère plus d'un mois ses opérations, il met le roi de Prusse dans le cas de se voir attaqué par les Saxons et les Hanovriens.
2° Si donc la France n'entre pas à présent en Allemagne, elle doit s'attendre à voir entamé le roi de Prusse, son allié, ou l'électeur de Bavière, ce qui lui fera manquer son dessein sur les maisons d'Autriche et d'Angleterre.
3° Si la France entre au mois d'août avec 40,000 hommes en Souabe, elle empêche premièrement que les princes d'Allemagne et les cinq cercles confédérés ne puissent lui opposer des troupes l'année qui vient; en second lieu, elle prend ses quartiers d'hiver en pays ennemi; en troisième lieu, elle peut finir cette année l'affaire de la maison d'Autriche, puis qu'il ne s'agit plus que du gain d'une bataille par l'électeur de Bavière pour que cette maison soit aux abois, principalement si les Bavarois marchent droit à Vienne. De plus, si 40,000 Français entrent ou en Autriche ou en Bohême, et qu'une autre armée française prenne Philippsbourg, il est évident que les maisons de Saxe et d'Hanovreavec leurs Hessois et Danois ne pourront jamais s'opposer à si forte partie.
Mon avis est donc de faire à présent un puissant effort, et de terminer en un coup ce qui peut être terminé aisément, au lieu qu'en ne faisant que des efforts successifs l'on remet au hasard des événements qui dépendent, à présent, de la France, sielle prend une bonne et vigoureuse résolution, sans différer.
Qu'on se resouvienne de l'apologue de la queue de cheval, que l'on n'arrache pas entière, mais dont on vient à bout si on en tire crin par crin; c'est pourquoiil faut agir avec toute sa force, tandis que les alliés en font de même, et alors la France a tout lieu de s'attendre à une heureuse réussité de ses desseins, et c'est l'unique moyen d'abaisser la maison d'Autriche et de rabattre l'arrogance et la fierté des Anglais.
Das Schreiben nach Abschrift der Cabinetskanzlei. Die Denkschrift nach dem eigenhändigen Concept.