5992. AU MINISTRE D'ÉTAT COMTE DE PODEWILS A BERLIN.
Potsdam, 11 août 1753.
Ne doutant nullement que bien des gens et surtout les ministres des cours étrangères à Berlin se donneront bien des mouvements, soit par eux-mêmes soit par des voies indirectes, pour apprendre et pénétrer notre façon de penser sur la nouvelle qu'on a de la marche d'un gros corps de troupes russiennes dans la Livonie et aux environs, et sur les autres démonstrations qu'on dit que la Russie voudrait faire encore dans le courant de cette année-ci, afin de savoir au juste si ces ostentations nous donneront des alarmes et des impressions, j'ai trouvé bon de vous avertir que, quand des ministres étrangers ou d'autres gens encore, même des nôtres et de vos proches parents, vous parleront, soit en particulier soit par manière de conversation dans des compagnies, sur ces nouvelles, vous devez faire semblant de n'y faire guère attention et ne répondre en tout cas que d'une manière indifférente et sans affectation : que nous ne savions pas ce qui en était, mais qu'il était libre à toute puissance de faire dans son pays tel arrangement qu'elle voudrait et qu'elle trouvait de sa convenance.
Vous instruirez encore les sieurs Vockerodt et Warendorff qu'ils observent la même contenance, s'il arrivait que des ministres étrangers ou d'autres gens encore viennent à leur parler là-dessus, afin qu'ils évitent d'entrer en matière avec eux.
Au reste, milord Maréchal venant de m'envoyer un mémoire par écrit relativement aux affaires de l'Empire qu'un de ses amis en France lui a communiqué, dont j'ai trouvé les réflexions assez justes et solides, j'ai bien voulu vous le communiquer pour votre direction et, bien que je reconnaisse assez les difficultés qu'il y aurait d'en faire usage par rapport à l'affaire de l'élection d'un roi des Romains, je crois cependant<42> qu'il y a de bonnes choses que vous saurez employer fort utilement pour mieux confondre les chicanes que le roi d'Angleterre nous a suscitées par rapport à l'Ostfrise. Sur ce, je prie Dieu etc.
Federic.
Mémoire.
Le traité d'Osnabriick porte qu'à la première Diète on réformerait les abus qui s'étaient glissés dans les Diètes précédentes; qu'on dressera une capitulation perpétuelle; qu'on statuera sur la contestation qui s'était élevée au sujet de l'élection d'un roi des Romains, et, enfin, qu'on réduira à des bornes légitimes les fonctions des directeurs [des différents collèges] de l'Empire.
Pour peu qu'on voudra s'arrêter à réfléchir sur ces objects, on en sentira l'importance. Les États se plaignent qu'on ne les assemblait pas assez souvent; on y a remédié; la Diète d'à présent subsiste depuis près d'un siècle; mais on n'a point corrigé les anciens abus, et il s'en est introduit de nouveaux. Ces abus sont tels que la Diète peut être regardée comme un des bras dont la cour impériale se sert pour enchaîner la liberté des États et pour les opprimer les uns après les autres.
L'union entre les Électeurs et les Princes ferait respecter l'Empire au dehors et assurerait leur liberté. Mais cette union ne pourra jamais avoir lieu, tant qu'on n'aura pas réglé les différends qui les partagent concernant la capitulation et l'élection d'un roi des Romains.42-1 On a souvent travaillé à un accommodement sur cette matière, et il est à croire qu'on en serait venu à bout, si les Électeurs avaient consulté leurs véritables intérêts. La cour impériale a trouvé moyen de les éblouir par de vaines prérogatives; sûre d'avoir la pluralité dans le Collège Électoral, elle a de tout temps cherché à en étendre le pouvoir, afin d'augmenter le sien. C'est par cet artifice que les Ferdinand étaient presque parvenus à subjuguer toute l'Allemagne et à y établir un gouvernement absolu. On ouvrit alors les yeux sur les suites des distinctions dangereuses par lesquelles on s'était laissé séduire. On rechercha l'amitié des Princes et on parvint à réprimer les entreprises de la cour impériale et à assurer la liberté des États etc. Le danger passé, on est retombé dans le même piège et on a éprouvé les mêmes suites pendant le règne des empereurs Léopold, Joseph et Charles VI. Tout ce que nous envisageons comme une prérogative, nous séduit facilement. Les Électeurs n'ont été frappés que des avantages qu'ils remportaient sur les autres États, et ils n'ont pas considéré qu'ils se rendaient par là plus dépendants de la cour de Vienne et que, par des distinctions qui n'ajoutaient rien à leur puissance, ils se privaient des forces qu'ils auraient pu tirer de leur union avec les Princes.
Si ces objets méritent l'attention de tous ceux qui s'intéressent au bien du Corps Germanique, il en est de même de celui qui regarde les<43> fonctions des directeurs des différents collèges de l'Empire. Qui voudra s'instruire à fond des abus qui se commettent à cet égard, n'aura qu'à consulter le commentaire de Henniges sur le traité de la Westphalie.43-1 On observe ici seulement que ces abus sont si énormes que toutes les lois de l'Empire deviendront inutiles, si on n'y remédie pas, et qu'il sera toujours au pouvoir de la cour de Vienne de faire prendre à la Diète telle résolution qu'il lui plaira, si les États ont la faiblesse de souffrir plus longtemps la prévarication des directeurs et la manière impérieuse dont ils agissent à leur égard. Ce qui est arrivé dernièrement dans l'affaire d'Ostfrise,43-2 confirme ce qui vient d'être exposé, et doit réveiller l'attention de tous les États et les exciter à presser l'exécution du traité d'Osnabrück, tant à cet égard que par rapport aux autres objets énoncés ci-dessus.
Les Électeurs et les Princes y sont également intéressés et ils doivent d'autant plus redoubler leurs efforts pour parvenir à un but aussi salutaire qu'il s'agit d'élire un roi des Romains et de perpétuer la couronne impériale dans une nouvelle maison. La cour de Vienne s'est déjà assurée des suffrages de plusieurs Électeurs et elle s'adressera sans doute au roi de Prusse pour lui demander le sien. Sa Majesté s'est déjà expliquée qu'elle ne désirait rien poure le-même; qu'elle ajoute à cette déclaration qu'elle borne tous ses désirs à voir réformer les abus qui détruisent la liberté du Corps Germanique et qui lui font perdre la considération qu'il devait avoir au dehors. Plus elle travaillera à rétablir l'union entre les Électeurs et les Princes et à écarter les sujets de jalousie que la cour de Vienne cherche à entretenir, plus elle s'occupera à maintenir la constitution de l'Empire et a réprimer les entreprises des directeurs, plus elle augmentera son crédit et son influence dans l'Empire, plus elle affermira le Corps Protestant dont elle est le plus puissant appui.
Sa Majesté ne pourra jamais soutenir à la fois une cause plus juste, plus glorieuse, plus utile qu'en insistant sur l'exécution du traité d'Osnabrück et qu'en faisant cause commune avec ceux des États qui en sentiront l'importance. Mais si elle attache son suffrage à cette condition, il en suivra de deux choses l'une : ou la cour de Vienne sera forcée de se prêter à des demandes aussi justes, ou d'abandonner son projet de faire élire un roi des Romains. Dans le premier cas, Sa Majesté aura rempli son projet; dans l'autre, la cour de Vienne n'aura aucun sujet légitime de se plaindre et n'osera même se plaindre, si elle ne veut faire connaître qu'elle cherche à perpétuer des abus qui favorisent le despotisme auquel elle aspire. Il est à présumer qu'elle témoignera d'être disposée à entrer dans les vues de Sa Majesté, mais qu'elle demandera qu'on procède d'abord à l'élection. Les arrangements<44> dont il s'agit, dira-t-elle, ne pourront être faits que de longtemps, et l'élection presse. Il n'y aurait nul fond à faire sur une pareille réponse. Ces arrangements seront bientôt faits, si la cour de Vienne veut s'y prêter de bonne foi ou seulement ne point les traverser. Rien ne presse tant que de rétablir l'union entre les membres de l'Empire et de remettre en vigueur des lois d'où dépend sa constitution. L'Europe est tranquille, l'Empereur est dans la force de l'âge et jouit d'une bonne santé; rien ne presse de lui nommer un successeur; en tout cas on a des chefs pendant la vacance du trône impérial, et les troubles qui peuvent s'élever pendant un interrègne, sont infiniment moins à craindre que les suites funestes qui doivent résulter de la désunion de ses membres et de l'inexécution des lois.
Nach der Ausfertigung.
42-1 Vergl. Bd. VIII, 105. 106. 123. 223. 224.
43-1 Meditationes ad instrumentum pacis caesareo-suecicum. Halle 1706—1712.
43-2 Vergl. Bd. IX, 416.