D.
Promemoria.

Moscou, 28 juin 1753 [styli veteris].

En réponse au promemoria de M. l'envoyé extraordinaire de Sa Majesté le roi de la Grande-Bretagne du 15 avril, le ministère de Sa Majesté Impériale de toutes les Russies a ordre de faire connaître à M. l'envoyé que, si d'un côté l'Impératrice a appris avec un grand déplaisir les fâcheuses circonstances qui menacent les États du roi de<90> la Grande-Bretagne d'une attaque ennemie et toute l'Europe de nouveaux troubles, elle n'est pas de l'autre côté moins sensible à la confiance que Sa Majesté Britannique met en même temps en son amitié et alliance; aussi Sa Majesté Impériale embrasse-t-elle avec joie cette occasion pour donner au Roi de nouvelles preuves des sentiments qu'elle lui conserve en sincère amie et fidèle alliée.

M. l'envoyé extraordinaire verra par le ci-joint projet d'une convention à conclure avec sa cour, et lequel on lui remet également par ordre de l'Impératrice, avec quelle facilité Sa Majesté veut entrer dans toutes les mesures qu'il a proposées ici, moyennant ledit promemoria, par ordre du Roi son maître, comme un expédient pour prévenir la ruine inévitable à laquelle seraient exposés les pays d'Hanovre, si la guerre vient à s'allumer. On espère que M. l'envoyé extraordinaire remarquera avec une égale satisfaction les conditions aussi généreuses que désintéressés auxquelles Sa Majesté Impériale veut accorder un si puissant secours à Sa Majesté le roi de la Grande-Bretagne; car, quoique les subsides qu'on demande tant pour l'entretien de 55,000 hommes sur les frontières de Livonie, avec 40 à 50 galères en état d'agir, en cas que ce corps dût effectivement marcher et faire diversion en Prusse ou en Poméranie, surpassent considérablement ceux qui ont été stipulés par les conventions de l'année 1747, mais, pour peu que M. l'envoyé extraordinaire fasse attention à l'éclaircissement suivant, il trouvera que la somme que l'on demande à présent, loin de surpasser celle desdits subsides, en est encore beaucoup plus modique. C'est que Sa Majesté Impériale ne cherche en cette occasion qu'à pouvoir convaincre le roi de la Grande-Bretagne par des preuves réelles de la sincère amitié qu'elle lui porte.

Par la convention du 12 juin de l'année 1747 Sa Majesté Britannique a été obligée de payer pour l'entretien de 30,000 hommes de troupes russiennes sur les frontières de Livonie un subside de 100,000 livres sterling par an, qui, à raison de 10 florins et 15 stuvers courants de Hollande pour chaque livre sterling, faisaient la somme de 430,000 écus courants de Hollande, et qui furent payés sur ce pied dans le même pays, suivant qu'on en était convenu. Si on demande à présent aussi pour l'entretien d'un corps consistant presque en deux fois autant de troupes un million d'écus courants de Hollande, par conséquent environ 200,000 écus de plus, il faut prendre en considération que les dépenses que l'on sera obligé de faire dans le cas en question, sont sans comparaison plus grandes que ne le pouvaient être celles du cas passé.

Dans ce temps-là, la plupart des troupes de Sa Majesté Impériale se trouvaient déjà d'elles-mêmes en Livonie ou aux environs; mais à présent, à cause de la paix générale en Europe, elles se trouvent dispersées au dedans de l'Empire et pour la plupart dans les provinces éloignées où elles ont les vivres en plus grande abondance et à meilleur marché. On comprend bien, sans qu'on l'observe, ce qu'il coûte pour<91> faire marcher de si loin un si grand corps de troupes, surtout les Cosaques et les Kalmouks, qui sont obligés de traverser quasi tout l'Empire d'un bout à l'autre. On se contente de faire remarquer que dans l'intérieur de l'Empire une mesure — tschetwert — de seigle ne se paie jamais au delà d'un rouble, l'avoine presque toujours à la moitié de ce prix, le foin à trois copeks le poud, et à proportion tous les autres vivres [sont] aussi à très bon marché. Au contraire, toutes ces choses sont sans comparaison plus chères en Livonie : un poud de foin se paie quelquefois 15 à 20 copeks; mais elles y seront naturellement encore plus chères, quand on y assemblera un aussi grand corps de troupes avec 15,000 hommes de cavalerie, consistant la plupart en des troupes légères, dont chaque cavalier doit être pourvu de deux chevaux.

Dans le cas passé, on n'avait pas besoin d'y transporter une grande partie d'artillerie avec ses servants, à présent, on est obligé de faire tout ceci.

Quant à la somme qu'on demande en subsides pour le temps que les troupes de Sa Majesté Impériale seront employées de faire diversion, en cas que le roi de Prusse attaquât le pays d'Hanovre, on espère que M. l'envoyé extraordinaire la trouvera encore plus raisonnable par rapport à celle que les deux Puissances maritimes ont d'elles-mêmes accordée par la convention du 19 novembre 1747 pour le corps de 30,000 hommes qu'elles avaient pris à leur service.

On a payé, alors, pour ce corps de 30,000 hommes 1,290,000 écus courants de Hollande — comptant toujours la livre sterling à raison de 10 florins et 15 stuvers. On en demande, à présent, trois millions, par conséquent 1,710,000 écus de plus, ce qui paraît en effet faire un objet considérable; mais, si l'on en déduit encore ce qui est à payer pour les 25,000 hommes qu'on veut présentement donner de plus et qui, en considération de 15,000 hommes de cavalerie y compris, et dont la plupart sont à deux chevaux, peuvent passer pour 30,000 hommes, il n'en restera pour tout le surplus que 420,000 écus.

Outre que cette somme en elle-même fait déjà un très petit objet, M. l'envoyé extraordinaire verra aussi par ce qui sera dit plus bas qu'elle est trop insuffisante à compenser les frais qui tombent à présent à la charge de l'Impératrice, et que par ladite convention du 19 novembre 1747 les deux Puissances maritimes étaient cependant obligées de porter elles-mêmes.

Par exemple l'équipement et l'expédition de 40 à 50 galères pour faire descente dans le pays ennemi, et l'armement de deux vaisseaux de ligne et autant de frégates pour leur escorte sont des articles tout nouveaux, mais de la dernière importance, et qui exigent de grandes dépenses.

On en omet ici plusieurs autres de même nature, il suffit de dire qu'excepté la seule provision de vivres, Sa Majesté Impériale se charge à présent de tout, au lieu que dans le cas passé les Puissances maritimes,<92> lorsqu'elles avaient pris à leur service le corps de troupes de 30,000 hommes, étaient obligées à faire transporter à leurs frais toutes sortes d'amunitions de guerre et autres choses qu'on avait besoin d'envoyer d'ici à ces troupes; à leur fournir la poudre et le plomb; à se charger de l'entretien des malades et des blessés et à les faire soigner et traiter par leurs propres chirurgiens et médicaments; à faire conduire jusqu'en Russie, également à leurs frais, les malades qui ne pourraient suivre l'armée, et ceux qui seraient laissés pour les servir; à rançonner ceux de ce corps qui tomberaient prisonniers entre les mains de l'ennemi, et enfin à faire chercher et rendre les déserteurs au général commandant le corps auxiliaire.

C'est aussi un grand article que ces troupes auxiliaires de Sa Majesté Impériale allaient alors se joindre aux autres armées alliées, avec cette expresse condition qu'elles ne seraient pas exposées aux fatigues plus que les autres troupes, et qu'on observerait en tout une juste égalité entre elles, de sorte que les troupes russiennes pouvaient alors espérer beaucoup de délassement dans leurs travaux. Au contraire, dans le cas présent, le corps de troupes que Sa Majesté Impériale veut donner au secours de Sa Majesté Britannique, ne peut espérer aucun de ces avantages, mais doit seul porter tout le poids de la diversion à faire. On doit aussi compter pour un article extraordinaire et bien considérable l'artillerie dont il est nécessaire de pourvoir le corps auxiliaire; car, au lieu que, dans le cas passé, il n'y avait que deux pièces de campagne par régiment, il faut à présent non seulement en doubler le nombre, mais y ajouter une bonne partie de gros et de petit canon. Enfin, ne pouvant se fier sur aucun secours d'ailleurs, on est obligé de pourvoir à tout, de crainte que le défaut de quelque chose nécessaire ne fût trop nuisible.

Cette dernière considération produit une autre de beaucoup plus grande conséquence; c'est que Sa Majesté Impériale, se privant d'un corps de troupes si considérable qu'elle donne au roi de la Grande-Bretagne par un effet de son amitié pour lui, non seulement pour le secourir contre le roi de Prusse, mais aussi pour faire une grande diversion dans les États de ce Prince, sera nécessairement obligée pour la sûreté-de ses propres frontières, et pour pouvoir, en cas de besoin, donner un prompt secours audit corps, d'en tenir un autre pareil en voisinage et tout prêt à se mettre en marche. On laisse aux propres lumières de Sa Majesté Britannique à juger s'il n'est pas juste de concourir aux dépenses onéreuses qu'il faudra faire pour assembler et entretenir ce second corps de troupes.

Quant au seizième article du projet ci-joint, par lequel on engage Sa Majesté Britannique, en cas que, pendant la guerre en question, Sa Majesté Impériale vînt à être attaquée par quelque puissance étrangère, à payer durant tout le temps de cette attaque un subside d'un million d'écus courants de Hollande par an, on se flatte que, loin de trouver<93> extraordinaire ou superflue une telle demande, on reconnaîtra en ce cas la générosité particulière de Sa Majesté Impériale et les soins sincères qu'elle prend, en amie fidèle, des intérêts du roi de la Grande-Bretagne, puisqu'en cas même d'une nouvelle et propre guerre à soutenir, elle est fermement résolue de n'abandonner jamais son allié, mais de le soutenir toujours avec force et vigueur; aussi ne demande-t-on ce peu de subside que pour subvenir en quelque manière aux frais dans lesquels l'augmentation et les levées de troupes doivent indispensablement engager Sa Majesté Impériale.

Enfin, on est dans une forte persuasion que Sa Majesté le roi de la Grande-Bretagne, après avoir examiné le projet susmentionné, n'aura pas sujet de se repentir de la confiance avec laquelle il s'est adressé à Sa Majesté Impériale de toutes les Russies et a remis à sa générosité d'indiquer en ce cas la somme des subsides et les autres conditions; car M. l'envoyé extraordinaire pourra être le témoin qu'aussitôt que ledit projet de convention sera de retour ici avec le consentement du Roi son maître, Sa Majesté Impériale ordonnera d'augmenter son armée de 60,000 hommes, pour se mettre en état d'exécuter les mesures qu'elle va prendre ensemble avec Sa Majesté Britannique.

On espère que M. l'envoyé extraordinaire verra en son particulier aussi avec plaisir la condescendance qu'on témoigne ici, pour faciliter une négociation dont le succès lui acquerrait une gloire proportionnée à la grandeur et à l'importance du sujet.

C. Bestushew. Woronzow.