6120. AU LORD MARÉCHAL D'ÉCOSSE A PARIS.

[Potsdam], 29 [novembre 1753].

Mon cher Milord. Je ne sais pas trop comment j'ai fait la conquête du bailli de Froullay166-2 dont vous me flattez; c'est le meilleur homme du monde : il est sage, je ne le suis guère; il est dévot, j'ai l'honneur d'être mécréant; il a eu pour son ordre des prétentions que je n'ai pas pu toutes lui accorder, ainsi ce ne peut être que par surcroît de bonté qu'il me veut du bien. Il a trouvé toute notre compagnie ici bien tranquille; depuis que le fol166-3 n'y est plus, tout le monde vit en union et en paix. Je voudrais que l'Europe en fît autant et qu'on pût traiter les politiques turbulents de même que les poètes émancipés; mais, mon cher Milord, nous autres rois nous avons brevet d'impunité pour nos sottises, aussi voyez-vous le bel effet que cela produit, et combien nous nous donnons carrière depuis les Georges jusqu'aux Neuhof.166-4 C'est un vilain métier que la politique, elle vient se fourrer très mal à propos dans toutes les actions de ceux qui s'escriment d'elle. Je pourrais m'en être passé dans ma lettre; je me souviens que le cardinal de Richelieu s'avisa un jour de composer une tragédie, la pièce était intitulée L'Europe; mais elle tomba, quoique faite par un ministre. Adieu, mon cher Milord, ne faisons point de tragédies, mais réjouissons-nous [de la vie], autant que le destin nous en prolonge le terme.

Federic.

Nach der Ausfertigung. Eigenhändig. In dorso von der Hand des Empfängers: „Du Roy, novembre 29, 1753.“



166-2 Vergl. Bd. IX, 444. 445. 460.

166-3 Voltaire.

166-4 1735—1738 König von Corsica.