6282. AU LORD MARÉCHAL D'ÉCOSSE A PARIS.

Potsdam, 6 avril 1754.

J'ai reçu votre rapport du 25 du mars. Vous connaissez ma façon de penser, à ne pas donner légèrement des alarmes à la France. J'aurais pu déjà vous marquer sans cela que j'ai appris par de bons<289> canaux à Vienne que le commissaire général de guerre de l'Impératrice-Reine, le comte Salabourg, avait présenté un projet à sa souveraine d'assembler une armée de 50,000 hommes, pourvue de tout à pouvoir entrer en campagne, s'il en était averti six semaines d'avance,289-1 que ce projet avait été fort applaudi de la Princesse et qu'il avait été traité fort mystérieusement et dans un profond silence, mais que j'ai appris par le même canal qu'il pourrait bien être mis en exécution vers la fin du mois de mai, à Kolin en Bohême, et qu'on prenait actuellement, quoique avec mystère, des arrangements pour l'achat de 1600 chevaux d'artillerie et de ce qui y a du rapport. Qu'on était, de plus, en pourparlers pour former des magasins suffisants à entretenir une armée de passé 50,000 hommes, pourvue de tout ce qu'il faut, et que huit régiments de cavalerie en Hongrie avaient ordre de joindre vers ce tempslà l'armée en Bohême. Que d'ailleurs des lettres de Russie m'ont appris que les ordres de la cour étaient données pour augmenter le nombre des troupes de Russie dans la Livonie, pour faire marcher un corps considérable de troupes irrégulières de l'Ukraine aux confins de la Lithuanie, et à l'amirauté de Pétersbourg pour appareiller les vaisseaux de guerre et les galères afin de pouvoir sortir en mer.

Tout cela n'a point pu opérer sur moi que j'aurais voulu vous en faire part afin d'en avertir les ministres de France, pour ne point leur donner des ombrages prématurés. Mais, comme je viens d'apprendre à présent que les ordres de l'achat des chevaux d'artillerie subsistent toujours, qu'on s'aperçoit à Vienne du mouvement parmi les généraux autrichiens qui y arrivent successivement, mais qui ne font point de séjour; que d'ailleurs j'apprends d'un bon endroit une conversation qui a été tenue depuis peu entre des personnes qui sont fort à même de savoir la façon de penser de la cour de Vienne, en conséquence de laquelle il paraissait à celle-ci qu'il s'élevait tant de difficultés pour l'élection par unanimité que la pluralité était plus convenable, de sorte qu'il fallait indiquer une assemblée d'Électeurs, y faire la proposition de l'élection, et que ceux des Électeurs qui ne voudraient point être présents, seraient les maîtres de s'absenter sur le pied que cela s'était fait a la dernière élection;289-2 qu'on était bien persuadé que celle-ci réussirait comme la dernière; que la chose en resterait là et qu'à la fin les Électeurs opposants s'accommoderaient et qu'en tout cas il fallait se mettre en état avec ses alliés, si contre toute attente l'affaire devenait sérieuse; qu'au surplus les entretiens, les entrevues particulières entre le comte Colloredo et celui de Kaunitz, qui s'enfermaient pendant plusieurs heures, étaient fort fréquentes, que personne n'y était admis qu'un seul référendaire privé du comte Kaunitz, mais que le ministre de Russie, le comte Keyserlingk, voyait actuellement avec plus d'assiduité les deux ministres susdits; que le ministre saxon, comte Flemming, y était aussi,<290> et que le sieur Keith, après avoir reçu un courrier, portait du contentement dans sa physionomie — j'ai cru de ne pouvoir plus céler aux ministres de France ces avis-là.

C'est aussi en conséquence que vous chercherez d'avoir au plus tôt une audience particulière de M. de Contest pour le bien informer de tous avis susdits et pour lui dire en termes exprès que je ne les lui donnais point pour des choses avérées et sûres, qu'au contraire j'en doutais moi-même jusqu'à présent. Cependant, comme il se passerait bien du temps en attendant que nos lettres sachent arriver et partir réciproquement, je croyais que la prudence demandait que nous supposions pour un moment tous ces avis vrais et constatés, afin de prendre à bonne heure le concert nécessaire entre nous pour ce qu'il fallait que nous fissions, supposé que le cas arriverait et que nos ennemis communs éclateraient pour pousser leurs mauvais desseins. Qu'il fallait y songer de bonne heure, pour ne pas tomber dans le grand inconvénient absolument ruineux et hors de saison de vouloir délibérer et prendre des concerts entre nous, tandis que nos ennemis agiraient par leurs forces, et que je priais donc instamment M. de Contest de vouloir bien m'instruire par vous de ce qu'il y aurait à faire de notre part, dans le cas que nos ennemis voudraient réaliser les susdits projets.

Vous lui ajouterez que mes soupçons sur les vues de ceux-ci augmentaient, parceque des lettres de Hollande marquaient que la cout de Vienne y faisait actuellement négocier par son agent à Rotterdam deux millions de florins à raison de quatre pour cent, sous prétexte d'en vouloir faire relever les fortifications d'Ostende, en donnant pour hypothèque les droits d'entrée des bureaux de Bruges et de Gand, et qu'au surplus je savais à n'en pas pouvoir douter que le duc de Newcastle avait chargé le sieur Guy Dickens, d'insister, le plus fortement qu'il serait possible, auprès de la cour de Russie sur une réponse positive et claire au sujet de l'affaire des [subsides], afin que la Grande-Bretagne puisse prendre promptement son parti.

Je m'attends à votre dextérité et savoir-faire que vous tirerez les explications les plus claires et les plus positives sur tout ce que dessus, afin de m'en faire au plus tôt possible, dans une affaire d'aussi grande importance que celle-ci, votre rapport de manière que je sache m arranger là-dessus.

Federic.

Nach dem Concept.



289-1 Vergl. S. 207.

289-2 Vergl. Bd. IV, 273. 274.