6570. AU CONSEILLER PRIVÉ DE LÉGATION BARON DE KNYPHAUSEN A PARIS.
Berlin, 28 décembre 1754.
La négociation qui a été entamée peu après la paix de Dresde entre moi et l'Impératrice-Reine, pour régler le commerce de nos États et sujets réciproques et pour satisfaire par là aux obligations contractées par le traité de Berlin, ne saurait vous être inconnue; vous aurez trouvé dans les actes de vos prédécesseurs plusieurs pièces qui y sont relatives,503-1 et, entre autres, un mémoire que j'ai fait communiquer, il y a quelques années,503-2 au ministère français pour détruire les insinuations sinistres que la cour de Vienne ne cessait de répandre contre moi à cette occasion, et pour faire sentir que c'était sa faute et non pas la mienne que cette affaire ne fut réglée, il y a longtemps, selon les principes de l'équité et de la justice.
Comme je n'ai pu cependant parvenir à la terminer jusqu'ici, et que les difficultés que la cour de Vienne s'efforce de faire naître de temps à autre, sont plus propres à en éloigner qu'à en accélérer la conclusion, j'ai cru devoir remettre de nouveau cette négociation sous les yeux de la cour où vous êtes, et vous communiquer pour cet effet le précis ci-joint, que j'ai fait chiffrer avec votre ancien chiffre, et qui vous instruira de tout ce qui s'est fait de part et d'autre dans les dernières années, et de la position où elle se trouve actuellement. Vous y verrez que l'envoi du sieur de Fürst, qui se trouve à Vienne depuis la mort du sieur de Dewitz,503-3 que tous les soins que je me suis donnés, et toutes les facilités que j'ai tâché d'apporter pour mettre fin aux contestations qui se sont élevées, n'ont rien pu gagner jusqu'à présent sur l'inflexibilité de la cour de Vienne; qu'au lieu de la confiance et de la bonne foi qui devrait servir de base en une négociation pareille, on n'a cessé de faire des chicanes et de mettre de nouvelles entraves au commerce de la Silésie, et qu'enfin on y a mis le comble, en introduisant, pendant le cours même de la négociation, un nouveau tarif503-4 qui rehausse les droits sur toutes les marchandises d'entrée qui sortent de mes États, jusques à 30 pour cent, et qui détruit absolument tout le status quo de l'année 1739.503-5
Vous observerez surtout que ces innovations marquent non seulement peu d'envie d'en venir à une convention raisonnable, mais que ce sont de plus des contraventions manifestes à l'article 8 du traité définitif de Berlin,503-6 qui porte en autant de termes que les choses doivent rester sur le pied où elles étaient avant la guerre, jusqu'à ce qu'on en puisse convenir autrement, et que jusque là les anciens accords au sujet du commerce seront religieusement observés et exécutés de part et d'autre.
<504>Telle étant la situation actuelle de cette affaire, mon intention est que vous en parliez au sieur de Rouillé, que vous lui communiquiez ce précis, et qu'à l'aide des lumières que vous y aurez puisées et de celles que les actes de l'ambassade vous auront fournies, vous fassiez sentir à ce ministre toute l'injustice de la cour de Vienne. Vous ajouterez que je prévoyais, du reste, que le but de cette cour n'était autre que de faire échouer la négociation et de m'obliger à la rompre, et que je serais en effet obligé d'en venir là, s'il ne se présentait quelque occasion favorable pour la rendre plus docile et pour lui faire entendre raison; que je ne voyais que la cour de France qui pût me procurer cette occasion, en autorisant son ministre, le vicomte d'Aubeterre, à faire sentir l'intérêt que Sa Majesté Très Chrétienne prenait au succès de cette négociation, et la peine que lui faisaient les difficultés qu'on avait fait naître par l'établissement d'un nouveau tarif, dans un temps où je ne demandais pas mieux que de conclure sur un pied raisonnable.
Vous direz au sieur de Rouillé que j'étais persuadé qu'une insinuation pareille ne pourrait que produire un très bon effet, si on la faisait à propos et dans un de ces moments d'alarme que les nouvelles de Constantinople causaient depuis quelque temps aux ministres autrichiens; que je savais à n'en pouvoir pas douter, qu'ils n'étaient pas sans inquiétude de ce côté-là, et qu'il me revenait d'ailleurs de fort bon lieu que la Porte se disposait à faire dans peu des arrangements dans son militaire qui donneraient à penser à la cour de Vienne, de sorte que, si la cour de France voulait me faire l'amitié de charger le vicomte d'Aubeterre de se concerter avec mon ministre, le sieur de Klinggræffen, et de profiter du moment favorable que je viens d'indiquer, pour parler aux ministres autrichiens, lorsque ce moment existera réellement, et pas plut tôt, j'avais tout lieu de me promettre que la cour de Vienne en deviendrait plus traitable et que ce serait peut-être le seul moyen de la porter à l'accomplissement de ses engagements.
Vous aurez soin, dans l'entretien que vous aurez sur ce sujet avec le sieur Rouillé, de lui faire envisager cette démarche que je fais auprès de la cour de France, comme une suite de la confiance que je lui ai toujours témoignée, et comme un effet de mon zèle pour le maintien de la paix et de la tranquillité qui me portait à écarter avec soin tout ce qui pourrait un jour la troubler, et qui me faisait désirer par conséquent de pouvoir aussi régler cette affaire de commerce qui laisserait toujours un germe de division et de discorde entre moi et la cour de Vienne, tant que les choses resteraient sur le pied où elles se trouvent actuellement.
Vous finirez, enfin, en disant que je regarderais les soins que Sa Majesté Très Chrétienne voudrait bien prendre à cette occasion, comme une nouvelle marque de son amitié pour moi, et que je serais charmé d'avoir cette obligation de plus à un Prince qui était le premier et le<505> plus intime de mes alliés et dont les intérêts me seraient toujours aussi chers que les miens.
J'espère, au reste, que vous vous acquitterez de la commission que je viens de vous donner, avec toute la dextérité nécessaire pour en faciliter le succès, et avec autant de promptitude que les circonstances le permettront; après quoi vous ne manquerez pas de me faire un rapport exact et fidèle de la réponse qu'on vous aura donnée et des mesures qu'on aura prises en conséquence.
Federic.
H. Comte de Podewils. Finckenstein.
Situation actuelle de la négociation de commerce à Vienne.
Par le huitième article du traité de paix de Berlin il fut arrêté que les deux cours nommeraient incessamment des commissaires de part et d'autre pour régler le commerce entre les États et sujets réciproques, les choses restant sur le pied où elles étaient avant la guerre, jusqu'à ce qu'on soit convenu autrement.
Le peu de temps qu'on put employer à arranger la paix de Dresde, n'ayant pas permis d'y entrer dans un plus ample détail sur le commerce, l'on se contenta d'établir pour base du traité celui de Berlin et d'y ajouter au sixième article505-1 la clause : „que les deux parties contractantes s'engagent de favoriser réciproquement, autant qu'il est possible, le commerce de leurs États, pays et sujets respectifs et de ne point souffrir qu'on y mette des entraves ou chicanes, mais qu'elles tâcheront plutôt de l'encourager et de l'avancer de part et d'autre fidèlement.“
Quoique la situation du commerce de Silésie parût être à l'abri de toute appréhension à la faveur de cette double stipulation, les troubles furent à peine apaisés que la cour de Vienne s'avisa de hausser considérablement les droits d'entrée sur plusieurs manufactures qui passaient de la Silésie dans les États autrichiens.
Le Roi eut beau faire faire des représentations là-dessus et réclamer la foi des traités pour le rétablissement du tarif usité avant la guerre, s'offrant de faire entamer incessamment la négociation d'un traité formel de commerce; les ministres autrichiens refusèrent constamment de se rendre à ces instances et cherchèrent des faux-fuyants de toute espèce pour les éluder. D'abord, ils prétendirent que la stipulation du traité de Berlin n'ayant point été renouvelée en termes exprès par la paix de Dresde, cette omission lui avait fait perdre toute sa force. Puis, sentant sans doute eux-mêmes la frivolité de ce subterfuge, ils se rabattirent sur un autre principe tout aussi étrange, savoir que la conservation stipulée du commerce in statu quo ne se rapportait qu'aux droits de sortie et de passage, mais qu'à l'égard de ceux qui se levaient sur l'entrée et la consommation des marchandises, c'était un objet de pure<506> police dont chaque souverain était en droit de disposer à sa fantaisie. Avec quelque solidité qu'on leur démontrât la faiblesse et l'insuffisance de ce principe, il n'y eut pas moyen de les en faire démordre; tout ce qu'on put obtenir d'eux, ce fut des promesses vagues que l'Impératrice-Reine donnerait les mains à un traité de commerce favorable aux sujets prussiens, après que le Roi eût réglé l'article qui regarde le payement des dettes silésiennes. Sa Majesté ne voulant rien négliger de tout ce qui dépendait de lui, pour mettre en règle tous les points litigieux entre elle et la cour de Vienne, ne rejeta point cette ouverture. Elle envoya même pour cet effet un commissaire expressément à Vienne; mais comme elle prévoyait aisément que, lorsqu'elle aurait satisfait cette cour sur l'article des dettes, qui lui tenait extrêmement à cœur, celle-ci n'en serait pas plus disposée à entendre raison sur l'autre, Sa Majesté déclara en même temps qu'elle entendait faire marcher les deux négociations ensemble et d'un pas égal, et que tout ce qu'on conclurait sur l'un des deux objets, ne serait censé obliger que lorsqu'on se serait arrangé également sur l'autre.
L'évènement a justifié la précaution. Les ministres autrichiens, après bien des chicanes et des débats sur la combinaison des deux objets, sont à la fin entrés sur ce pied-là en négociation avec le commissaire du Roi. On est convenu, à quelques légères différences près, de tout ce qui regarde le payement des dettes. Mais, quand on est venu dans la suite à l'article du commerce, la cour de Vienne, bien loin d'en presser la conclusion, semble avoir pris à tâche de la reculer par des délais continuels, et, quoique le Roi y ait apporté toutes les facilités imaginables et se soit prêté aux idées autrichiennes, autant que la conservation du commerce de Silésie a pu le permettre, toute cette condescendance ne lui a procuré aucun retour, à telles enseignes qu'au beau milieu de la négociation et dans le temps où la bonne foi semblait exiger qu'on laissât du moins les choses in statu quo, sans les empirer davantage, ladite cour a fait publier un nouveau tarif par lequel les droits d'entrée sur presque tous les objets du commerce de Silésie, dont la plupart n'étaient taxés auparavant [qu'jà 5 pour cent plus ou moins, sont haussés jusqu'à trente : ce qui fait perdre au Roi presque toute espérance d'obtenir des conditions tant soit peu acceptables pour le commerce de Silésie d'une cour qui semble se faire une étude de l'abîmer.
Nach dem Concept. Das Concept des Erlasses ist von der Hand des Grafen Finckenstein, dem der König den Befehl zur Expedirung dieser Weisung mündlich ertheilt zu haben scheint.
503-1 Vergl. Bd. VIII. 229. 411. 416. 501. 526. 549.
503-2 Vergl. Bd. VIII, 370. 381.
503-3 Vergl. Bd. IX, 323.
503-4 Vergl. Bd. IX, 401. 413.
503-5 Vergl. Bd. VIII, 233.
503-6 Vergl. Bd. VIII, 401.
505-1 Vergl. Bd. VIII, 410.