Je passe maintenant au second objet qu'on suppose devoir attirer l'attention de Votre Majesté, lequel est de Se mettre par quelque nouvelle alliance à l'abri des risques et inconvénients qui pourraient résulter personnellement pour Elle du traité qui vient d'être conclu entre les cours de Vienne et de Versailles, et de Se garantir de la facilité qu'il donne à la première de pouvoir tourner tous ses efforts contre la Silésie et autres États de Votre Majesté. Tous ceux qui connaissent le tableau de l'Europe et qui sont un peu au fait des affaires, prévoient, sans se permettre aucun doute, que Votre Majesté ne saurait rester isolée et sans alliés dans la position critique où Elle Se trouve, et que l'évènement qui vient d'arriver, doit nécessairement La rapprocher des cours qui ont le même intérêt qu'Elle peut avoir à contre-balancer la prépondérance si considérable que le traité de Versailles paraît assurer à la cour de Vienne et à celle de France dans la balance générale de l'Europe. Parmi les puissances dont on suppose que Votre Majesté doit être jalouse de rechercher l'amitié, il y en a principalement deux qui paraissent devoir fixer toute Son attention, attendu que leurs intérêts sont entièrement conformes aux siens relativement à la révolution qui vient d'arriver. Ces deux puissances sont la Porte et l'Angleterre, et l'on n'ignore point que la première est tout aussi intéressée que peut l'être Votre Majesté, à contrebalancer dans la conjoncture présente le poids considérable que le traité de Versailles donne à la cour de Vienne. On n'a rien négligé ici pour prévenir les suites de l'ombrage que ce nouveau système pourrait causer au ministère ottoman, et je sais que M. Rouillé a répondu à quelqu'un qui s'en est entretenu avec lui, qu'on avait pris toutes les précautions possibles pour tranquilliser la Porte et lui donner toutes les sûretés et assurances qu'elle pourrait exiger. Différentes personnes infèrent de là qu'on a peut-être offert à la Porte d'accéder à ce traité, ou bien on lui a proposé que la France se rendrait garante par un article séparé et secret de tous les traités conclus entre la maison d'Autriche et l'Empire ottoman. J'ignore jusqu'à quel point cette conjecture peut être fondée; mais il est certain que M. Rouillé a assuré au baron de Bunge qui est chargé ici des affaires de la cour de Suède,1 qu'on avait employé tous les moyens qu'on avait cru propres à tranquilliser la Porte et à lui ôter tout sujet de méfiance et d'inquiétude. Quoi qu'il en soit, l'attention du ministère de France ne s'est pas bornée à cet objet, et celui de Vienne a eu soin de la diriger pareillement sur la cour de Russie. L'influence que l'Angleterre paraît avoir depuis longtemps à cette derniere, lui a fait prévoir qu'elle ne négligerait rien pour faire entrer la Russie dans la ligue qu'on la soupçonne être disposée de former, en opposition au traité de Versailles. C'est pour empêcher la réussite d'une pareille entreprise que la cour de France a envoyé à Pétersbourg le sieur Douglas, chargé, à ce qu'on prétend, de proposer à la Russie de faire un traité de subsides avec la cour de France, aux mêmes conditions que renferme celui qui subsiste maintenant entre la première de ces deux cours et celle de Londres.“
Potsdam, 29 juin 1756.
Votre rapport du 18 de ce mois m'a été bien rendu, et je vous sais infiniment gré des ouvertures que vous continuez de me donner sur la façon qu'on pense en France à l'occasion de la conjoncture présente.
Par tout ce que vous m'en marquez, et par ce que j'apprends d'autres lieux encore, je me crois fondé de supposer qu'il y a des articles secrets ajoutés au traité d'alliance entre les cours de Versailles et de Vienne, dont on ne voudrait laisser rien transpirer encore, par les engagements pernicieux qu'on y a pris, même très préjudiciables aux véritables intérêts de la France, dont peut-être l'on ne s'aperçoit pas assez en France dans le premier feu de vivacité.
1 Vergl. S. 412.