<71> garde des sceaux,1 qui, quoique conduits par des motifs très différents, se sont tous réunis pour déterminer le Roi à se borner à une guerre maritime,2 système que rien ne saurait mieux consolider que la neutralité de l'Allemagne … Il sera donc assez facile de faire consentir la France à la neutralité de l'Allemagne, si Votre Majesté S'y prend de la façon que je viens de Lui indiquer; mais il sera difficile de calmer cette cour et de conserver sa confiance, si Elle négocie secrètement avec l'Angleterre et qu'Elle ne lui fasse part de Son traité qu'après qu'il sera conclu … J'observerai encore à cette occasion que l'avis du duc de Nivernois, si Votre Majesté parvient à le persuader, sera infailliblement adopté ici, parceque le Roi, Madame de Pompadour et tous les ministres ont une confiance aveugle en lui et qu'on se conformera vraisemblablement à tout ce qu'il pourra proposer.“

Knyphausen berichtet, Paris 23. Januar: „Ayant vu mardi dernier3 M. Rouillé, je me suis prévalu de cet entretien pour le sonder sur le contenu de la lettre de Votre Majesté du 3 de ce mois et pour m'éclaircir sur ce qu'il pense de la neutralité de l'Allemagne dont il y est fait mention. Il m'en a lui-même offert l'occasion, en me disant qu'on lui mandait par ses lettres de Vienne que l'Angleterre cherchait à former une ligue en Allemagne, pour en assurer la neutralité et pour en défendre l'entrée à toute armée étrangère4 … M. Rouillé ne fit non seulement aucun effort pour me prouver que Votre Majesté pourrait Se charger d'une pareille diversion [dans le pays d'Hanovre], comme il l'a tenté ci-devant en plus d'une occasion;5 mais il convint même ingénument avec moi que la France n'avait pour le moment présent point de projets relativement à l'Allemagne et qu'une invasion de sa part dans le pays d'Hanovre serait vraisemblablement sujette à de grandes difficultés. « Cependant, » reprit-il, « quoique ce soit là notre façon actuelle de penser et qu'il y ait toute apparence que nous ne tenterons rien en Allemagne, il serait néanmoins bien humiliant pour nous d'avoir les mains liées à cet égard, d'autant plus que, si la guerre se fait, nous ne sommes pas sûrs de réussir dans les entreprises maritimes que nous formerons. » Après quoi, ayant discuté quelque temps avec moi les inconvénients qui pourraient résulter du partage des forces et des moyens de la France, si elle entreprenait une guerre de terre, sans que cela pût influer à un certain point sur la pacification de ses différends avec l'Angleterre, il finit par me dire que l'idée dont nous venions de nous entretenir, méritait d'être pesée avec la plus grande attention et qu'elle pouvait être envisagée sous différents points de vue. Je crois pouvoir inférer de là que l'éloignement du ministère de France pour la neutralité de l'Allemagne n'est pas aussi considérable qu'on pourrait bien l'imaginer, et que Votre Majesté n'aura pas beaucoup de peine à disposer la cour de France à donner son consentement aux engagements qu'Elle aurait envie de prendre. Au reste, M. Rouillé m'a fait des reproches amers dans un entretien postérieur que j'ai eu avec lui, de ce qu'il apprenait par la voie de la Haye qu'il passait fréquemment par cette ville des courriers prussiens qui allaient en Angleterre et qui en revenaient, … sans que Votre Majesté eût donné aucune communication à la France des propositions que Lui faisait l'Angleterre, tandis que les lettres de Londres portaient que le traité pour lequel on était en négociation avec la cour de Prusse, allait incessamment être conclu. Que, quelques authentiques que fussent les nouvelles qu'il recevait à cet égard, il avait cependant beaucoup de peine à y ajouter foi, et que la grande expérience qu'il avait des lumières et de la pénétration de Votre Majesté, ne lui permettait presque pas de croire qu'Elle pût regarder un instant la France comme un allié inutile, ni Se dissimuler que, si cette dernière se voyait abandonnée par Elle dans un moment aussi critique, elle trouverait facilement des occasions pour prendre sa revanche; que la façon dont Votre Majesté Se comporterait dans la conjoncture présente, deviendrait dorénavant la mesure de la confiance que le Roi son maître prendrait en Elle, et que cette boussole comprendrait toutes ses actions à Son égard.“



1 Machault.

2 Vergl. S. 26.

3 20. Januar.

4 Vergl. S. 9. 43; Bd. 453.

5 Vergl. Bd. XI, 479.