7349. AU CONSEILLER PRIVÉ DE LÉGATION BARON DE KNYPHAUSEN A PARIS.
Knyphausen berichtet, Paris 1. März: „Les pourparlers du comte de Starhemberg avec le ministère de France deviennent de jour en jour plus fréquents,189-1 et l'on m'a communiqué ces jours-ci des lettres de Vienne qui portent que le comte d'Aubeterre redouble tous les jours d'assiduité auprès du comte de Kaunitz et que ce dernier lui parle beaucoup plus familièrement que ci-devant et avec les apparences de la plus grande confiance. Tous ces indices et différents propos qui ont été tenus à des personnes de mes amis qui à la vérité ne sont point employés dans le ministère, mais qui prennent beaucoup de part aux affaires et qu'on consulte souvent, ne me permettent pas de douter que la négociation que je soupçonne la cour de Vienne d'avoir entamée ici, ne continue avec la plus grande chaleur et ne fasse journellement de nouveaux progrès. Je suis également certain qu'il y a un parti considérable dans le ministère qui s'oppose avec véhémence à ce projet, et que les personnes qui le favorisent principalement, sont Madame Pompadour, le garde des sceaux,189-2 l'abbé de Bernis et l'abbé de La Ville. Quant au sieur de Bussy, j'ai tout heu de supposer qu'on lui cache soigneusement tout ce qui est relatif à cette négociation; mais je sais en même temps qu'il y a près de quinze jours qu'il se doute qu'on chipote avec le comte de Starhemberg et qu'on trame avec la cour de Vienne quelque affaire secrète dans laquelle on ne veut point l'initier. H s'est même avancé envers une personne de mes amis jusqu'à dire qu'il craignait fort que le ministère ne se laissât emporter par un mouvement d'humeur et qu'il ne donnât dans les pièges que la cour de Vienne pourrait lui tendre dans la vue de profiter de son mécontentement. J'ajouterai encore qu'il est échappé au maréchal de Belle-Isle, en me parlant, dans la chaleur de la conversation, que, si l'on était disposé ici à prêter l'oreille aux insinuations de la cour de Vienne, Votre Majesté ne tarderait pas à Se repentir des engagements qu'Elle avait contractés avec l'Angleterre, et à en sentir vivement tous les inconvénients. Indépendamment des deux traits que je viens de rapporter, et qui donnent au soupçon que j'ai exposé ci-dessus, l'air de la plus grande vraisemblance, il m'est revenu encore que le maréchal de Richelieu et plusieurs autres personnes qui observent de près les allures du ministère, sont convaincus qu'on machine quelque négociation secrète avec la cour de Vienne et qu'on écoute avec complaisance dans le moment présent ses insinuations. Le peu d'empressement que la Marquise témoigne pour me voir en particulier, pour recevoir les choses flatteuses que je suis chargé de lui dire de la part de Votre Majesté,189-3 et sur lesquelles j'ai eu soin de la prévenir, pourrait encore être cité comme une preuve propre à confirmer la conjecture que je forme, si les autres indices que j'ai rapportés, n'étaient pas plus que suffisants pour en établir la réalité. Le grand secret qu'on garde à l'égard de cette négociation, et le petit nombre de personnes qui y prennent part, ont mis en défaut toutes les mesures que j'ai prises pour en pénétrer l'objet. Je ne saurais donc rien mander à ce sujet de bien détaillé,<190> ni de bien certain; mais je persiste toujours à croire qu'il n'est question que d'un simple traité d'amitié et qu'il ne s'agit d'aucun engagement qui soit dirigé contre Votre Majesté, en haine de la convention qu'Elle a faite avec l'Angleterre, ni qui soit relatif à la guerre qui est prête à s'allumer entre la France et la Grande-Bretagne. Quant à ce qui concerne ce point, le ministère de France n'a pas assez de fermeté pour prendre un parti aussi vigoureux. D'ailleurs, le rappel du chevalier de La Touche et la nomination du marquis de Valory190-1 sont des actes de complaisance qui s'accorderaient mal avec un pareil dessein et avec les assurances que M. Rouillé me donne journellement,190-2 et qui en pareil cas seraient marquées au coin de la fausseté la plus insigne, vice qui n'est pas dans le caractère de ce ministre. Je crois donc que le but que ces deux cours se proposent par une pareille alliance, au cas qu'elle prenne jamais consistance, serait de la part de la cour de Vienne d'augmenter par cette démarche la méfiance qui règne actuellement entre Votre Majesté et la France, tandis que cette dernière pourrait bien vouloir faire usage de ce moyen pour contenir Votre Majesté dans les bornes de la neutralité la plus exacte et L'empêcher par cet épouvantail de prendre avec l'Angleterre des engagements plus intimes ou encore d'exécuter ce qui a été stipulé par Sa convention de neutralité relativement à la garantie des États de la Grande-Bretagne en cas d'attaque. Je soumets ces conjectures à la pénétration de Votre Majesté et j'ajouterai seulement que l'expérience que j'ai de la pusillanimité du ministère de France, ainsi que les preuves qu'il a sur l'équilibre des pouvoirs en Allemagne et la prépondérance de la maison d'Autriche, paraissent donner l'exclusion à tous les autres soupçons qu'on pourrait former sur ce problème politique. L'union constante qui a subsisté depuis un temps très considérable entre l'Angleterre et la maison d'Autriche, et qui est fondée sur des principes sûrs et puisés dans la balance de l'Europe, ne permet également pas de croire que l'Impératrice-Reine veuille se séparer totalement de la Grande-Bretagne dans le moment présent, pour se jeter sans réserve entre les bras de la France.“
Potsdam, 13 mars 1756.
J'ai reçu votre dépêche du 1er de ce mois. Je suis très satisfait de la relation que vous m'avez faite, et j'en commence à voir un peu plus clairement sur la situation actuelle des affaires présentes de la cour où vous êtes. Je me représente, tout comme vous, les contradictions qui en doivent résulter, quand les cours de Vienne et Versailles voudront s'entendre entre elles pour agir d'un concert commun; mais il faut également considérer qu'une femme telle que Madame Pompadour est capable de tout faire, sans juger des conséquences.
Il faudra ainsi que, sans vous arrêter à ce qui raisonnablement se devait faire, vous continuiez d'avoir la plus grande attention pour pénétrer au possible les choses qui se machinent présentement entre les deux cours.
Une de vos attentions principales doit être encore de bien vous orienter si l'on apprête des arrangements pour faire assembler des armées, soit du côté de la Moselle soit du côté de Givet, afin de pouvoir m'en instruire, dès que vous en apprendrez quelque chose de sûr.
Il faut que je vous avoue que jusqu'ici mes soins employés pour apprendre avec certitude quelque chose à Vienne touchant les desseins des deux cours, n'ont pas encore tous les succès désirables; je me flatte<191> que votre savoir-faire y suppléera. En attendant, j'ai tout lieu de présumer que la Reine-Impératrice ne voudra pas lier son parti, avant que d'en avoir pressenti la Russie et d'en être entièrement assurée, et voilà un point qui n'est aussi aisé qu'on se le représente. Mais, supposé pour un moment que tout prendrait consistance, j'ai de la peine à m'imaginer qu'on voudrait se déterminer d'entreprendre quelque chose avant le mois d'août; sur quoi, je serais bien aise que vous m'expliquiez votre sentiment. Du reste, la faiblesse et la pusillanimité des ministres français ne me sont que trop connues; il faut songer cependant que, pourvu qu'ils se laissent emparer par des gens tels que les Autrichiens, ils sauraient bien prendre plus de hauteur.
La nouvelle que vous m'avez marquée par votre dépêche précédente par rapport à un corps considérable de troupes qu'on voudrait assembler dans la Flandre française,191-1 mérite encore votre attention pour m'apprendre si cette nouvelle se soutient, et il m'est tombé dans l'esprit si, supposé que cet avis se vérifie, on n'a pas de vues pour attaquer directement les Hollandais dans leur propre pays, après être convenu avec la reine de Hongrie du libre passage par les Pays-Bas pour y aller. Quoique tel projet serait aussi ridicule que les autres, on ne saurait cependant pas savoir ce qu'un entêtement peut produire.
Au reste, qu'il vous serve toujours de direction que, plus le ministère de France trouvera mal ma convention de neutralité faite, plus ce sera la marque qu'il se rapproche avec les Autrichiens; cependant, c'est une vérité constante, dont chaque homme raisonnable conviendra, que ma convention n'est pas offensante à qui que ce soit; sur quoi les ministres de France sont convenus eux-mêmes, quand ils vous ont déclaré que la France aurait donné les mains à une neutralité de l'Allemagne, pourvu que j'en aurais fait communication.191-2 est-ce donc à présent un crime et un sujet pour changer de système et de tout bouleverser? Mais ce que j'en dois juger, c'est que depuis longtemps déjà il y a eu des chipoteries secrètes entre les deux cours pour se rapprocher, quoiqu'il n'en ait été rien de conclu, comme le duc de Nivernois ne l'a pas désavoué lui-même.191-3
Federic.
Nach dem Concept.
189-1 Vergl. S. 178. 179.
189-2 Machault.
189-3 Vergl. S. 98.
190-1 Vergl. S. 180.
190-2 Vergl. S. 141. 162. 179.
191-1 Vergl. S. 179.
191-2 Vergl. S. 106. 121.
191-3 Vergl. S. 179.