Réponse de Sa Majesté Très Chrétienne à Sa Majesté Prussienne.
Le Roi a été très sensible à la communication que le roi de Prusse a bien voulu lui donner d'une copie de la lettre du 12 du mois de février dernier, écrite à Sa Majesté Prussienne par Son ministre à Londres, et du mémoire contenant la réponse du roi d'Angleterre205-1 au sujet des ouvertures faites à ce Prince par ordre du roi de Prusse, dans la vue de contribuer à une conciliation amiable des différends qui subsistent entre Sa Majesté et Sa Majesté Britannique.
Le Roi rend trop de justice aux lumières et à l'équité de Sa Majesté Prussienne pour ne pas accepter avec satisfaction les bons offices qu'Elle lui offre et qu'Elle a déjà commencé à employer relativement a un ouvrage si salutaire.
Si la cour britannique a fait part au roi de Prusse de toute la négociation qui a été suivie à Londres pendant le dernier séjour de M. le<206> duc de Mirepoix en Angleterre,206-1 Sa Majesté Prussienne y aura vu bien clairement qu'il n'a pas tenu au Roi de prévenir par un accommodement les excès auxquels la cour britannique s'est portée, et qu'elle continue de commettre depuis huit mois et sans déclaration de guerre contre les vaisseaux et les sujets de Sa Majesté.206-2
En effet, le Roi, après avoir proposé plusieurs fois, mais toujours inutilement, au roi d'Angleterre de remettre de part et d'autre en Amérique les choses sur le pied où elles étaient ou devaient être en conséquence du traité d'Utrecht, de faire cesser les hostilités dans cette partie du monde et de travailler sans délai à une conciliation finale sur tous les objets de discussion entre les deux couronnes,206-3 avait enfin offert des sacrifices très réels de sa part, pour maintenir la bonne intelligence avec le roi de la Grande-Bretagne et pour prévenir une guerre que Sa Majesté a toujours désiré et désirerait encore de pouvoir éviter.
Mais le Roi a constamment vu avec regret que l'Angleterre attachait l'idée d'un accommodement à des conditions que Sa Majesté ne devait, ni ne pouvait accepter;206-4 Elle était même fort étonnée d'éprouver autant d'inflexibilité à cet égard, mais Sa surprise cessa, lorsqu'Elle apprit, non seulement par l'attaque de Ses vaisseaux206-5 et de Ses possessions en Amérique, mais aussi par les papiers du général Braddock,206-6 que, sous le voile d'une négociation à laquelle la cour britannique paraissait se prêter sincèrement, elle cachait les ordres offensifs qu'elle avait envoyés depuis plusieurs mois en Amérique, quoiqu'elle renouvelât toujours de vive voix et par écrit les assurances les plus formelles de ses intentions pacifiques.206-7
Par la rupture inopinée des négociations, de laquelle il est fait mention dans le mémoire remis à Londres au ministre du roi de Prusse, la cour britannique prétend sans doute parler du rappel de M. le duc de Mirepoix et de M. de Bussy; mais personne n'ignore que le Roi ne s'est déterminé à les faire revenir auprès de lui qu'après l'attaque et la prise de deux vaissaux de Sa Majesté par l'amiral Boscawen.206-8 Toute l'Europe n'a même pu qu'admirer comme une suite de la modération du Roi et de son amour pour la paix que Sa Majesté eût alors borné au seul rappel des ministres qu'elle entretenait auprès du roi d'Angleterre, le juste ressentiment que devaient lui inspirer des hostilités aussi violentes qu'imprévues et si évidemment contraires au droit des gens, à la foi des traités, à toutes les lois et à tous les usages.
La cour de Londres insiste toujours sur les conditions qu'elle a proposées par son contre-projet du 7 mars 1755;206-9 mais le Roi fit répondre<207> dans le temps par son ambassadeur que de pareilles propositions ne permettraient pas à Sa Majesté d'espérer que les deux cours pussent parvenir à une conciliation amiable,207-1 et le Roi n'a point changé de sentiment à ce sujet.
Sa Majesté fit déclarer en même temps au roi de la Grande-Bretagne qu'Elle prendrait volontiers avec lui les mesures les plus efficaces pour mettre les deux nations en Amérique à l'abri de toute invasion et de toute gêne de la part de l'une vis-à-vis de l'autre, et qu'Elle ne serait pas éloignée d'entrer avec lui dans des arrangements favorables au commerce des Anglais et de céder même des pays qui Lui appartiennent incontestablement.207-2
Quoique les procédés de la cour de Londres aient autorisé Sa Majesté à regarder comme nulles et non avenues de pareilles offres, cependant son désir sincère et invariable de maintenir le repos public et de rétablir la bonne correspondance entre les deux cours, La déterminera à rentrer en négociation sur les mêmes errements. Elle accepte avec d'autant plus de plaisir pour cet effet l'entremise et les bons offices du roi de Prusse qu'Elle est bien persuadée qu'il ne les emploiera que conformément aux principes d'équité dont il est animé; mais Sa Majesté Prussienne jugera sans doute que le Roi ne peut absolument pas se départir de la réquisition qu'il a fait faire au roi de la Grande-Bretagne, d'ordonner préalablement la prompte et entière restitution de tous les vaisseaux français qui ont été pris par la marine anglaise, et de tous leurs équipages, officiers, soldats, chargements et effets.
Le roi de Prusse connaît trop ce que les souverains se doivent à eux-mêmes et à leurs sujets, pour ne pas approuver une demande aussi juste et aussi décente.
Ce n'est qu'à cette condition que le Roi sera disposé à concourir par la voie de la négociation à tous les arrangements convenables pour terminer sans délai et sans détour toutes les discussions qui subsistent entre la France et l'Angleterre.
Si le roi de la Grande-Bretagne désire sincèrement la paix et veut bien ne consulter que son équité naturelle, il ne se refusera pas à une première démarche que le droit des gens, les traités les plus solennels et toutes les règles de la justice lui prescrivent également.
C'est dans cet esprit que le Roi a déjà répondu au roi d'Espagne, qui lui a offert ses bons offices en même temps que le roi de Prusse.
Sa Majesté, vivement touchée des marques d'amitié et de confiance qu'Elle reçoit à cette occasion de la part de Sa Majesté Prussienne, souhaite ardemment que les soins que ce Prince se donne pour prévenir une nouvelle guerre, soient aussi efficaces qu'ils sont dignes de la modération et de la générosité de ses sentiments.
205-1 Vergl. Nr. 7303 S. 146.
206-1 Vergl. Bd. XI, 478.
206-2 Vergl. Bd. XI, 478.
206-3 Vergl. Bd. XI, 66. 72.
206-4 Vergl. Bd. XI, 93. 112. 181. 183.
206-5 Vergl. Bd. XI, 224.
206-6 Vergl. Bd. XI, 290. 302.
206-7 Vergl. Bd. XI, 478.
206-8 Vergl. Bd. XI, 224. 226.
206-9 Vergl. Bd. XI, 93.
207-1 Vergl. Bd. XI, 103.
207-2 Vergl. Bd. XI, 168.