C.
Notes sur le contre-projet de la cour de Londres, remis à M. le duc de Mirepoix le 7 mars 1755.
Les prétentions de l'Angleterre sur la rivière Ohio sont sans vraisemblance. Les forts qui y sont construits, ne donnent à la France aucune<345> facilité pour attaquer les colonies anglaises, ni pour troubler leur commerce. Ils sont nécessaires pour la communication entre le Canada et le Mississipi. L'Angleterre n'a, pour en demander la destruction, nulle autre raison que celle de couper cette communication et d'avoir moins d'obstacles à surmonter pour attaquer les autres postes de la France.
Les forts ou postes des environs du lac Érié et celui de la Rivièreaux-Bœufs sont pareillement nécessaires pour la communication. Jamais l'Angleterre n'a rien prétendu sur le lac Érié; il n'y a jamais paru aucun Anglais; et si l'on accordait cet article, on mettrait les Anglais au milieu de toutes les possessions françaises et à portée de les attaquer à leur choix, puisque, suivant le cours de l'Ohio et du Mississipi, ils pourraient descendre à la Nouvelle-Orléans, et que, le lac Érié faisant partie du fleuve Saint-Laurent, ils auraient la même facilité pour descendre à Québec.
Il est à remarquer en passant que, par toutes ces propositions, l'Angleterre cherche à mettre en litige la possession du fleuve Saint-Laurent, qui n'a jamais été contestée à la France, non plus que celle de Mississipi.
Il n'est pas moins extraordinaire que l'Angleterre veuille mettre en litige la Rivière de Saint-Jérôme, où les Français ont et ont eu des postes depuis plus de 80 ans, sans aucune objection de la part de l'Angleterre, où ce pays n'est connu que par les relations françaises.
On doit observer aussi que, sous prétexte de neutralité et au moyen des lignes qu'on propose de tirer, l'Angleterre se ferait céder par cet article tout le commerce du pays, puisque, malgré cette prétendue neutralité qui devrait exclure l'une et l'autre nation, et qui n'est guère praticable dans une si grande étendue de pays, les Anglais se réservent la liberté d'y commercer concurremment avec les Français : liberté et concurrence contraires à toutes les lois de l'Amérique, et qu'on ne peut admettre, sans renoncer au Canada.
On observera encore qu'avec les sauvages on ne commerce guère sans maisons fortes, qui sont ce qu'on appelle dans tous ces pays-là des forts; et les Anglais peuvent moins s'en passer que d'autres. Ainsi, sous ce nom de neutralité qui ne finira que quand il leur plaira,345-1 on les verra bâtir des forts sur les ruines de ceux que la France possède depuis près d'un siècle.
Le fort de Niagara a été bâti il y a plus de 80 ans, et n'a été ni cédé ni démoli par aucun traité. Comme il était tombé en ruine et avait été abandonné pendant quelques années, soit à cause de la paix qui subsistait avec les nations voisines, soit par économie, on l'a rebâti il y a environ 30 ans, et les Anglais n'ont nul prétexte d'en demander la démolition, étant sur un terrain qui n'a jamais été contesté à la France.
<346>Le fort Saint-Frédéric est dans le même cas; avant qu'il y eût d'Anglais à la Nouvelle-Angleterre, la France possédait le lac Champlain sur lequel est construit ce fort.
Il n'y a qu'à jeter les yeux sur la carte pour voir que le lac Champlain est au milieu des terres du Canada. Accorder aux Anglais la liberté de la navigation sur ce lac en temps de paix et détruire un fort qui le couvre en temps de guerre, c'est livrer toute la colonie.
C'est saper le traité d'Utrecht par les fondements que de disputer à la France le golfe de Saint-Laurent et une des rives du fleuve. La neutralité que propose l'Angleterre, équivaut à une cession. Le Roi doit sa protection à tous les Français établis dans différentes parties du terrain qu'on veut faire abandonner comme neutres.
L'Angleterre n'a prétendu nul droit dans la baie française hors de la presqu'île jusqu'à la paix d'Aix-la-Chapelle, qui ne lui en a point donné de nouveaux, et on a prouvé qu'une grande partie de la presqu'île appartient à la France.
Mettant à part le droit de propriété, la France ne peut se passer de la communication libre à la rivière Saint-Jean, tant par mer que par terre, ni par conséquent céder la côte depuis cette rivière jusqu'à Beaubassin, et encore moins une lisière de 20 lieues qui, contre le texte formel du traité d'Utrecht, donnerait cette étendue aux Anglais sur le golfe Saint-Laurent, à commencer au cap Tourmentin, et leur donnerait aussi le droit d'y faire des établissements sur les débris des nôtres.
L'adoucissement que l'extrait de la lettre346-1 semble donner à cet article, n'est pas suffissant et n'est pas exprimé clairement.
1° La rive méridionale du fleuve n'est point en Acadie.
2° La communication par mer à la rivière de Saint-Jean serait rendue inutile, si les Anglais étaient propriétaires de son embouchure ou seulement des terres voisines.
3° La communication de Québec à l'île Saint-Jean par la rivière de ce nom serait pareillement inutile, si les Anglais pouvaient pousser leurs établissements jusques sur les bords de cette rivière, surtout pendant que, sous prétexte de la neutralité de l'intérieur du pays, ils empêcheraient les Français d'en faire.
4° Cette prétendue neutralité de l'intérieur des terres situées entre le fleuve Saint-Laurent et la baie française n'est d'aucune utilité aux Anglais.
On observe en général que tout ce que les Anglais se proposent d'acquérir, de détruire ou de rendre neutre, est rempli d'habitants français, dont la ruine est infaillible et sans retour, si le contre-projet avait lieu. Au contraire, en suivant le projet de la France, aucun<347> Anglais n'y perdrait un pouce de terre, ni ne serait troublé dans son commerce actuel.
Nach der Ausfertigung. Die Beilagen nach den an Podewils gesandten Abschriften der Cabinetskanzlei.
345-1 Knyphausen bemerkt hierzu in Parenthese: „Comme on le voit par ce qui m'a été souligné dans le contre-projet.“
346-1 Auszug aus dem Berichte Michell's vom 12. Februar. Vergl. S. 142. 146.