8378. RELATION DE LA CAMPAGNE DE 1756, TANT EN BOHÊME QU'EN SILÉSIE ET QU'EN SAXE.85-2

Depuis que le Roi vit par la conduite de la cour de Vienne qu'elle voulait la guerre, Sa Majesté prit toutes les mesures convenables pour lui résister. Elle destina à M. le maréchal de Lehwaldt le commandement en Prusse, à M. le maréchal de Schwerin le commandement en Silésie, et elle se réserva celui de l'armée principale, qui devait agilen Saxe et en Bohême.

Il y avait déjà quelques années que l'on était instruit des intrigues de la cour de Saxe; on était informé de ses menées politiques et de ses projets militaires; on savait85-3 à n'en pas douter que les généraux saxons avaient choisi le poste de Pirna pour le point de ralliement de leurs troupes, comme étant le plus convenable pour tromper l'armée prussienne en cas qu'elle voulût s'avancer en Bohême, ou pour y rece<86>voir les secours des Autrichiens. Au premier mouvement que nos troupes rirent pour marcher en Poméranie et se trouver à portée de joindre le maréchal de Lehwaldt en cas de besoin, les Saxons abandonnèrent toutes les garnisons limitrophes du Brandebourg et prirent leur position entre la Mulde et l'Elbe, ils rentrèrent ensuite dans leurs quartiers et repartirent pour la seconde fois s'établir dans leurs cantonnements. Comme on savait l'intention qui les faisait agir, on prit des arrangements en conséquence, et le Roi dirigea la marche de ses troupes sur Pirna, en les distribuant en trois colonnes. La première partit du duché de Magdebourg sous les ordres du prince Ferdinand de Brunswick, elle se porta sur Leipzig, Borna, Chemnitz, Freiberg, Dippoldiswalde à Cotta. La seconde, où se trouvait le Roi, marcha par Pretzsch, Torgau, Lommatzsch, Wilsdruff, Dresde et Zehist. La troisième, commandée par le prince de Brunswick-Bevern, traversa la Lusace, se dirigea sur Elsterwerda, Bautzen, Stolpen à Lohmen. Ces trois colonnes arrivèrent le même jour au camp de Pirna, dont elles formèrent l'investissement.

Il est très nécessaire pour l'éclaircissement et pour l'intelligence des faits postérieurs d'entrer dans un détail circonstancié du poste de Pirna. Sa droite se trouvait appuyée à la forteresse de Sonnenstein, sa gauche au Kœnigstein, son front était inabordable. La nature s'est complue dans ce terrain bizarre à former une espèce de forteresse à laquelle l'art n'a aucune part. Pour s'en faire une idée, il faut se représenter des rochers escarpés, couverts en quelques endroits par de gros pins dont les Saxons avaient fait de bons abattis; derrière le Sonnenstein et Pirna coule l'Elbe entre des rocs escarpés et inabordables. Dès que l'armée prussienne se fut campée à l'entour de ce poste, on ne fut pas longtemps à s'apercevoir que, malgré la faiblesse de l'armée saxonne, le terrain qu'elle avait pris, était si avantageux qu'on ne le pouvait attaquer, sans faire des pertes considérables. Ceci fit résoudre à changer l'attaque en blocus et à traiter plutôt ce corps d'armée en ville assiégée qu'en poste attaquable selon l'usage de la guerre de campagne. De leur côté, les Saxons faisaient ce qu'ils pouvaient pour persuader à nos généraux de passer outre et de les laisser en arrière, sans les entamer, mais l'expérience du passé avait rendu les Prussiens sages pour l'avenir, on ne voulut ni pousser de pointe, ni laisser d'ennemi derrière soi; il fut résolu de bloquer exactement les Saxons et de former une armée d'observation pour empêcher les secours que les Autrichiens auraient pu leur donner, en conséquence de quoi on occupa les postes de Leupoldishayn, Markersdorf,86-1 Hellendorf, Hennersdorf, Cotta, Zehist, Sedlitz, jusqu'à l'Elbe, où notre pont nous joignait avec les postes de Lohmen, Wehlen, Ober-Rathen et Schandau.

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38 bataillons et 30 escadrons étaient distribués dans ces différents endroits, 29 bataillons et 70 escadrons furent destinés pour la Bohême. Ils y entrèrent par détachements, se portèrent sur Peterswalde, Aussig et Johnsdorf. M. le maréchal Keith en eut le commandement. Il envoya le général Manstein, qui se rendit maître du château de Tetschen et y fit 100 Autrichiens prisonniers, le Maréchal se campa à Johnsdorf et y demeura jusqu'à la fin du mois.

Jusqu'à ce temps, M. de Browne s'était resserré dans son camp de Kolin, M. de Piccolomini campait à Kœniggraetz, et M. le maréchal de Schwerin, ayant débouché par le comté de Glatz, s'était porté sur Nachod, ensuite sur les bords de la Metau, enfin sur Aujezd, où il défit un détachement de hussards et de dragons, commandés par le général Buccow, et fit 200 prisonniers. M. le Maréchal prit ensuite le camp d'Aujezd et fourragea jusque sous les murs de Kœniggrætz, à la barbe de M. de Piccolomini. Les hussards prussiens défirent auprès de Hohenmauth 400 dragons autrichiens et en prirent beaucoup dans la fuite. C'était tout ce que pouvait faire le maréchal Schwerin. L'assiette du camp de Kœniggrætz se trouve précisément au confluent de l'Adler dans l'Elbe; 1 ennemi s'y était retranché et ce poste se trouvait inattaquable par son front.

Ce n'était qu'en Saxe où les grands coups pouvaient se porter, il fallait éloigner le secours autrichien et prendre l'armée saxonne. Vers la fin de septembre, l'on sut que M. de Browne avait ordre de dégager les Saxons, son armée se trouvait campée à Budin, au confluent de l'Eger dans l'Elbe. Il avait trois moyens pour exécuter ces ordres: l'un, d'attaquer l'armée du maréchal Keith et de la battre, ce qui n'était pas aisé; le second, de marcher par sa gauche prenant le chemin de Bilin et Teplitz, pour entrer en Saxe, ce qui l'obligeait à prêter le flanc à notre armée et même le mettait dans le cas d'être coupé de ses magasins de Budin et de Welwarn; le troisième consistait à faire un détachement par Leitmeritz qui marchât aux Saxons par Bœhmisch-Leipa et Schandau. Cette dernière manœuvre ne pouvait mener à rien de décisif, à cause que le terrain des environs de Schandau et d'Ober-Rathen est si difficile qu'avec peu de troupes on peut arrêter une armée entière. Cependant, le Roi crut le moment assez critique pour exiger sa présence en Bohême.

Sa Majesté partit le 28 du camp de Sedlitz et arriva le même jour au camp de Johnsdorf. Le 29, l'armée de Bohême eut ordre de marcher, le Roi prit le devant avec 8 bataillons et 20 escadrons, il se campa à Tùrmitz, où l'on apprit par les coureurs de l'armée que M. de Browne passerait l'Eger le lendemain; c'était sans doute le meilleur parti que d'approcher de l'ennemi pour être témoin de tous ses mouvements et de le tenir en respect par le voisinage d'une armée prête à combattre d'un moment à l'autre. Le 30, toutes les troupes suivirent le Roi en deux colonnes. A peine l'avant-garde fut-elle sur les hauteurs<88> du Pashcopolo, qu'on aperçut un camp dans la plaine de Lobositz, dont la droite s'appuyait à l'Elbe et Welhota, Lobositz devant son front, Sullowitz devant sa gauche, dont l'extrémité se prolongeait derrière les étangs de Tschischkowitz. L'avant-garde continua sa marche à Wellemin. Ce village est situé dans un bassin entouré de montagnes, dont la plupart ont la forme d'un pain de sucre. Le Roi fit avancer l'infanterie en diligence et occuper les hauteurs et les débouchés qui vont verser dans la plaine de Lobositz. L'armée arriva assez tard et demeura la nuit en colonnes à peu de distance de l'avant-garde.

Le lendemain, 1er d'octobre, on fut reconnaître l'ennemi à la petite pointe du jour, un brouillard épais qui reposait sur la plaine, empêchait des hauteurs de distinguer les objets; on apercevait comme au travers d'un crêpe la ville de Lobositz et dans la plaine entre cette ville et Sullowitz deux colonnes de cavalerie, dont chacune était environ de 5 escadrons. Il fut résolu de déployer l'armée; à l'instant une colonne d'infanterie se forma par la droite, l'autre par la gauche, et la cavalerie se mit en seconde ligne. Le terrain où nous nous mimes en bataille, ne contenait que 6 bataillons de l'avant-garde, il allait en s'élargissant par la gauche. Le revers de ces montagnes était couvert de vignes divisées en beaucoup de petits enclos de pierre de la hauteur de 3 pieds, qui marquaient les différents héritages des bourgeois. Ce fut dans ces vignes que M. de Browne envoya ses pandours pour nous arrêter. A mesure qu'un bataillon de la gauche entrait en ligne, il s'engageait avec l'ennemi, mais comme c'était un feu mal nourri, on se confirma dans l'opinion où l'on était, que M. de Browne s'était retiré et que ces pandours et les troupes de cavalerie qu'on apercevait dans la plaine, faisaient son arrière-garde; ceci paraissait d'autant plus plausible qu'il ne fut impossible de découvrir rien d'approchant d'une armée : le brouillard nous cachait tout et il ne tomba qu'après i r heures. On fit canonner cette cavalerie de la plaine, qui changea de forme et de figure à plusieurs reprises : tantôt elle parut plus nombreuse, tantôt rangée en échiquier, quelquefois sur trois lignes, dont chacune était contiguë, souvent 5 ou 6 troupes disparaissaient en se retirant par leur gauche; enfin, las des manœuvres oiseuses qui s'étaient faites jusqu'alors, on crut qu'en faisant charger 20 escadrons de notre cavalerie, on dissiperait cette arrière-garde et qu'on mettrait fin au combat. Nos dragons se formèrent au pied de la hauteur où était notre infanterie, ils chargèrent et renversèrent la cavalerie autrichienne, mais ils reçurent un feu de flanc par l'infanterie de Lobositz et de Sullowitz, qui les obligea à se remettre dans leurs postes au bas de la montagne. Ce ne fut qu'alors que l'on jugea que l'ennemi se trouvait vis-à-vis de nous avec toute son armée. Le Roi voulut dès lors remettre sa cavalerie en seconde ligne, mais avant qu'on pût lui porter cet ordre, emportée par son impétuosité naturelle et par le désir de se signaler, elle donna pour la seconde fois, renversant tout ce qui lui était opposé, essuyant ce<89> même feu des flancs qu'elle avait reçu à la première charge. Elle poursuivit l'ennemi au delà de 3,000 pas, et, se livrant trop à son ardeur, elle franchit un fossé de ro pieds de large Au delà de ce fossé à 300 pas il y en avait un autre derrière lequel l'infanterie autrichienne se trouvait en bataille; elle fit exécuter 60 canons contre notre cavalerie, qui repassa le fossé et vint se remettre au pied de la montagne où était notre infanterie, sans que personne la suivît. Le Roi ne voulut plus qu'elle se livrât à de pareilles saillies et la fit repasser derrière l'infanterie.

Vers ce temps, le feu de l'aile gauche commença à devenir plus vif; M. de Browne avait fait filer successivement jusqu'à 20 bataillons, qui, passant par Lobositz, longeaient le long de l'Elbe pour soutenir les pandours dans les vignes. Notre infanterie les poussa vivement de murailles en murailles, elle en poursuivit un nombre qui se précipita par frayeur dans l'Elbe. Une partie des fuyards se jeta dans les premières maisons de Lobositz et fit mine de les défendre; alors notre seconde ligne d'infanterie entra dans la première, notre gauche s'appuya à l'Elbe, et dans cette disposition elle avança sur Lobositz. Nos grenadiers tirèrent dans les fenêtres, par les portes et dans les toits de ces maisons, où surtout le bataillon de Kleist et le capitaine Bornstedt contribuèrent le plus à mettre le feu. La gauche de notre infanterie tira dans cette action, qui n'était qu'une affaire de poste, chaque soldat au delà de 90 coups, ils n'avaient plus de poudre, leurs canons plus de munitions. Cela n'empêcha pas que les régiments d'Itzenplitz et de Wanteuffel n'entrassent dans Lobositz, la baïonnette au bout du fusil, et ne forçassent 9 bataillons autrichiens tous frais, que M. de Browne y envoyait justement, à s'enfuir. La fin de la bataille ne fut qu'une fuite de la part des Autrichiens. Ce qui empêcha notre cavalerie d'en profiter, ce fut premièrement ce large fossé, dont on a fait mention en parlant de l'attaque de notre cavalerie, et le beau mouvement que fit il. de Browne en prenant toute la gauche de son infanterie, qui n'avait point été entamée, pour en couvrir les troupes débandées, qui s enfuyaient dans le plus grand désordre. M. de Browne attendit dans cette position l'arrivée de la nuit pour se retirer; il se mit en marche a une heure après minuit, pour regagner son camp de Budin, et il fit rompre tous ses ponts sur l'Eger.

Le lendemain, on détacha le prince de Bevern avec un corps de 8.000 hommes à Tschischkowitz, qui était sur notre droite, d'où il envoya des partis le long de l'Eger, pour en reconnaître les passages. Cette armée de Bohême n'étant destinée que pour couvrir le blocus de l'armée saxonne, l'on ne crut pas devoir pousser plus loin ses progrès en Bohême, on ne pensa pas à prendre Leitmeritz, ni à passer l'Eger, il suffisait d'avoir battu l'armée autrichienne et de l'empêcher de faire des détachements considérables. L'armée prussienne était à la vérité il un tiers plus faible que celle de l'ennemi, mais l'on se croyait encore assez supérieur aux Autrichiens.

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Cette bataille ou, pour mieux dire, cette action dura sept heures, la cannonade de deux côtés fut continuelle pendant qu'elle dura; cependant nos pertes n'ont été que fort légères : nous n'avons eu en tout que 653 morts, entre lesquels le général de Lüderitz mérite le plus d'être regretté; 800 blessés, dont le plus grand nombre est déjà de retour auprès de ses corps. On a pris à l'ennemi 500 prisonniers, 4 canons et 3 étendards. M. de Browne a fait à peu près 240 prisonniers de notre cavalerie, ce qui ne roule que sur quelques cuirassiers, qui, ayant franchi le fossé, eurent leurs chevaux tués et ne purent rejoindre leur régiment. L'armée prussienne se campa sur le champ de bataille où elle est demeurée tranquillement; elle a fourragé à portée du canon de l'armée ennemie, sans presque voir d'Autrichiens.

Dès le 6, on apprit que M. de Browne faisait un détachement, dont son régiment était, que ces troupes étaient passées à Raudnitz et s'avançaient du côté de Bœhmisch-Leipa. L'on sut que ce corps, consistant en 6,000 hommes, s'avançait vers les frontières saxonnes. Quoique la faiblesse de ce détachement donnât peu d'appréhension, on crut que notre armée de Saxe, n'ayant que 30 escadrons, pourrait avoir besoin d'un renfort de cavalerie, surtout si les Saxons tentaient de forcer le passage de Hellendorf, où la cavalerie aurait pu être employée utilement, surtout dans les plaines de Peterswalde. Ces considérations déterminèrent le Roi à y aller en personne. Sa Majesté partit le 13 de Lobositz avec 15 escadrons de dragons, et le 14 à midi elle joignit son autre armée.

Depuis le 10, les choses étaient bien changées au camp de Pirna. Les Saxons avaient tenté ce jour de faire un pont à Wehlstaedtel.90-1 Nous y avions une redoute; le capitaine Dequede s'y trouvait avec 50 grenadiers de Bevern. Il fit tirer sur ces barques, il en prit 7 ou 8, il en coula quelques-unes à fond par son canon, et le dessein des Saxons échoua. Les ennemis changèrent leur projet et, comprenant la difficulté qu'il y avait de faire transporter leurs bateaux sur l'Elbe, où ils avaient le feu de trois redoutes prussiennes à essuyer, firent charger leurs pontons sur des haquets et les conduisirent par terre auprès du Kœnigstein vis-à-vis du village de Halbstædtel. Les Saxons avaient regardé cette sortie de leur camp comme étant la plus facile, à cause du secours qu'ils attendaient des Autrichiens.

Il est nécessaire pour l'intelligence de cette relation de rompre en cet endroit le fil de la narration pour entrer dans le détail du terrain qui, comme on sait, est la base de toutes les dispositions militaires. On a vu par la description qui a été faite du poste de Pirna, que son assiette se trouvait très forte; mais ce poste a le défaut qu'il est aussi difficile d'en sortir que de la forcer. Selon le local du terrain, les Saxons ne pouvaient tenter de forcer le passage que par Hermsdorf et Hellendorf; ils y auraient certainement beaucoup perdu, mais ils avaient<91> du moins l'apparence de sauver une partie de leur monde, en tentant cette entreprise. Il faut certainement croire qu'ils n'ont connu ni la situation de Halbstadt, de Burkersdorf, du Ziegenrück, de Schandau, ni la disposition dans laquelle les Prussiens occupaient ces postes.

Le général de Lestwitz était posté avec 11 bataillons et 15 escadrons entre Schandau et un village que les gens du pays appellent la Wendische Fähre; ce fut vis-à-vis de lui que se campa le maréchal de Browne avec son détachement, en occupant le village de Mittelndorf et Altendorf. M. de Lestwitz était beaucoup plus fort que M. de Browne. La situation impraticable de ces rochers empêchait les Autrichiens de se porter sur Burkersdorf; pour réussir, il fallait attaquer un corps supérieur du double ou dénier à deux devant M. de Lestwitz.

Du côté de Halbstadt, où les Saxons avaient résolu le passage, il y a une petite plaine ; le Lilienstein, montagne escarpée, se trouve au centre, des deux côtés de ce rocher, en forme de croissant, 5 bataillons de grenadiers gardaient un abattis impraticable, derrière eux, à 500 pas. deux brigades d'infanterie occupaient le défilé de Burkersdorf, soutenus par 5 escadrons de dragons, et au delà de ce défilé se trouve le Ziegenrück, qui est un rocher de 60 pieds de haut, escarpé comme une muraille, et qui fait en demi-cercle l'enceinte de ces postes difficiles, tenant à l'Elbe par les deux extrémités.

C'était cependant dans cet endroit si mal situé que, dès le 11, les Saxons commencèrent à faire leur pont. Nos officiers, bien loin d'y porter des empêchements, le leur laissèrent faire. La descente de Thürmsdorf vers l'Elbe se trouve encore assez praticable, mais, le pont fait, ils trouvèrent la plus grande difficulté à monter le rocher, où un seul sentier les conduisait à Halbstasdtel. Ce fut le 12 au soir (mils se mirent en marche; deux bataillons de grenadiers gagnèrent avec grande peine l'autre bord; le 13, les pluies, qui étaient continuelles, achevèrent d'abîmer ce chemin, ils ne purent retirer leur canon de leurs retranchements, ils l'abandonnèrent. Ce jour leur cavalerie, leur bagage et leur arrière-garde, tout se trouva pêle-mêle, les uns étant arrêtés par les autres. La difficulté du passage empêchant les troupes de marcher, la tête ne filait qu'un à un, tandis que le corps de bataille et l'arrièregarde demeuraient immobiles sur la même place.

Le 13, de grand matin, le prince Maurice d'Anhalt fut averti le premier de la retraite des Saxons. Nos troupes marchèrent incontinent sur sept colonnes, elles gravirent avec grande peine ces rochers, où cependant personne ne leur faisait résistance. Dès qu'elles furent sur la hauteur, elles se formèrent. Les hussards attaquèrent aussitôt 4 escadrons saxons, qui faisaient leur arrière-garde; ils les poussèrent jusqu'à leur infanterie auprès de Thürmsdorf; nos compagnies franches de chasseurs se logèrent dans un bois qui se trouvait à côté de ces troupes, et les incommodèrent par leur feu; en même temps, le prince Maurice ht avancer le régiment de Prusse infanterie sur une hauteur, qui se<92> trouvait sur la droite des Saxons. A peine eut-on exécuté deux pièces de canon sur cette arrière-garde, que tout s'enfuit. Les hussards se jetèrent sur les bagages de l'armée, qu'ils pillèrent, et les chasseurs se glissèrent dans des bois proches de l'Elbe dont ils tirèrent sur cette arrière-garde qui se sauvait. La tête tourna aux Saxons, et ils coupèrent leur pont, qui fut entraîné par le courant de la rivière jusqu'au poste de Rathen, où on le prit. L'armée prussienne se campa sur la hauteur de Struppen, la gauche à l'Elbe et la droite prolongeant un grand ravin qui va se perdre vers Hennersdorf; c'est dans cette situation que se trouvaient les troupes prussiennes, saxonnes et autrichiennes, lorsque le Roi arriva avec ses dragons le 14 au camp de Struppen.

Les Saxons espéraient sur les efforts que feraient les Autrichiens pour les dégager; les Autrichiens attendaient l'avertissement d'un certain signal pour commencer l'attaque. Le signal ne se donna point, les Saxons étaient dans un cul de sac où les mains leur étaient liées, il leur était impossible de surmonter les difficultés qu'ils avaient à vaincre, et quoique le roi de Pologne, qui était à Kcenigstein, voulût que ses troupes attaquassent, ses généraux lui en firent sentir l'impossibilité entière. M. de Browne, voyant alors la mauvaise situation où il se trouvait, se retira le 14 vers la Bohême. Warnery avec ses hussards donna sur leur arrière-garde, composée de 300 hussards et de 200 pan dours, et les battit, et l'infanterie hongroise fut passée au fil de l'épée.

Cette affaire qui a donné lieu à tant de reproches et de discussions entre les généraux autrichiens et saxons, est facile à décider. Il paraît par l'inspection oculaire des lieux que de deux côtés ils n'ont pas assez exactement connu le terrain que les Saxons choisirent pour leur retraite, et qui seul a donné lieu à la reddition de l'armée saxonne.

Le roi de Pologne, voyant que son armée était dans une situation à ne pouvoir se faire jour par l'épée, qu'elle n'avait ni vivres ni secours à espérer, consentit qu'elle se rendît prisonnière de guerre. Le comte Rutowski fut chargé de dresser la capitulation; le Roi voulut bien rendre les drapeaux, étendards et timbales, qu'on rapporta au roi de Pologne à Kcenigstein. On accorda à cette forteresse la neutralité pour le cours de la présente guerre, et, sur ce que le roi de Pologne désira de se rendre en son royaume, tous les chevaux furent commandés sur sa route, tant en Saxe que par le pays du Roi qu'il avait à traverser. Le 16, l'armée saxonne défila et fut conduite dans notre camp, où la plupart des soldats prirent parti, les officiers eurent la permission sur leur parole de se retirer chez eux. Le 18, le roi de Pologne prit le chemin de Varsovie, on retira toutes les troupes sur son passage et on eut les mêmes égards pour sa personne que ceux qui s'observent entre les têtes couronnées pendant la plus profonde paix. C'est un des avantages que notre siècle poli et éclairé a sur les siècles passés, que la politesse et l'humanité s'exercent au sein de la guerre. La reine de Pologne, toute la famille royale n'ont pas quitté leur capitale, et au<93> milieu de leurs ennemis ils reçoivent les mêmes hommages auxquels ils sont accoutumées de leurs sujets. Quand on compare à ce temps-ci ceux de François I et de Charles V, on en voit toute la différence, et l'on bénit le Ciel d'être né dans un siècle moins barbare.

Après la reddition des Saxons, le Roi retourna en Bohême pour ramener son armée hiverner en Saxe. Le 25 le maréchal Keith quitta le camp de Lobositz et prit celui de Hlinay, sans que l'arrière-garde aperçût d'ennemi. Le 28 nous marchâmes à Neudorf, le 29 à Schœnwalde. Le froid devenait si excessif qu'on ne pouvait plus enfoncer en terre les piquets des tentes. Le 30 l'armée rentra en Saxe, où elle cantonna entre Pirna et la frontière le long de l'Elbe. Le général de Zastrow occupa avec sa brigade les postes de Giesshübel et de Gottleube; les pandours vinrent l'attaquer, ils furent repoussés et chassés avec perte au delà de Peterswalde. Depuis ce temps, dégoûtés d'être toujours mal reçus, ils n'inquiétèrent plus nos postes avancés.

En même temps que l'armée de Lobositz quittait la Bohême, le maréchal de Schwerin eut ordre de rentrer en Silésie. Il avait passé l'Elbe à Jaromer. Après y avoir tout fourragé, il marcha sur Skalitz, où il fut suivi par quelques mille Hongrois; il les fit chasser jusqu'à Smiritz et continua tranquillement sa marche. Il entra le 2 de novembre dans le comté de Glatz et mit son armée dans des quartiers de cantonnement.

Nous avons commencé à prendre nos quartiers d'hiver, et il y a grande apparence que la campagne est finie pour cette année. L'on n'est point entré dans cette relation dans le détail de petites actions particulières qui n'intéressent pas le public; cependant, il est juste de rendre au mérite des officiers qui se sont singulièrement distingués, l'hommage qui leur est dû. M. de Syburg et M. de Miltitz se sont surtout surpassés au poste de Salesel, où ils furent attaqués par un gros corps de pandours qu'ils chassèrent des chemins creux où ils s'étaient embusqués, la baïonnette au bout du fusil. M. de Rosen, major au régiment de Fouqué, enleva de même avec beaucoup de dextérité un poste de hussards ennemis qui s'étaient aventurés dans le comté de Glatz, pour y commettre des pillages. M. de Rosenkrantz, lieutenant au régiment de Wechmar, défit avec 40 chevaux 60 hussards ennemis qui s'étaient glissés entre Wartha et Frankenstein, et fit plus de prisonniers qu'il n'avait de monde. Ces faits qui paraissent des miniatures après les grands tableaux que nous avons vus, doivent cependant trouver leur place dans les archives du temps et servent comme d'échantillons des talents, de la capacité, de la noble émulation et de la valeur qui se trouvent généralement parmi tous les officiers de l'armée prussienne.

Nach dem von Eichel an Podewils übersandten Druckexemplar. 93-1

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85-2 Gedruckte Exemplare der Relation werden am 28. November auf Königlichen Befehl von Eichel an Podewils übersandt; am 30. November schicken die Minister die Relation an die preussischen Vertreter bei den auswärtigen Höfen. Der König sendet ein Exemplar der Relation am 27. November an Algarotti vergl. Œuvres de Frédéric le Grand XVIII, 102), an dem gleichen Tage sendet Mitchell ein solches an Holdernesse.

85-3 Für die gesammte folgende Erzählung vergl. die Correspondenzen des Bandes XIII, nach S. 615. 617. 618. Die Daten der Relation sind mehrfach unrichtig, vergl. dafür u. A. Bd. XIII, 522. 569. 570.

86-1 Wohl „Markersbach“ . So in der „Histoire de la guerre de sept ans“ (Œuvres IV, 84), deren Darstellung die obige Relation jedenfalls zu Grande gelegen hat.

90-1 Wehlstädtel = Wehlen: Halbstädtel = Halbstadt. S. 91 Alin. 3 und 4 steht in der Vorlage statt des letzteren Ortes fälschlich Altstadt resp. Altstädtel.

93-1 Nach. Eichel's Schreiben vom 25. November ist die Relation in Dresden gedruckt; sie enthalte, schreibt er, mehrfache Druckfehler (vergl. S. 85. 90). Die Handschrift des Königs ist nicht mehr vorhanden.