8778. AU FELD-MARÉCHAL COMTE DE SCHWERIN A NEISSE.
Schwerin berichtet, Neisse 24. mars 1757: „Sire. J'ai bien reçu la gracieuse lettre de Votre Majesté du 20 avec le projet y joint des plans d'opérations420-5 que les ennemis auront fait ou pourraient faire pour la campagne prochaine, contenant quatre articles différents et les mesures à prendre, pour en empêcher l'exécution, ainsi que suit.
1.
Je remarque dans l'exécution de ce premier article bien des difficultés de part et d'autre. Quant à ce qui regarde l'opération française, je doute que jamais la France veuille exposer un corps de 30,000 hommes de ses troupes et les joindre à an aussi misérable corps de troupes comme celles de l'Empire, outre les difficultés que toute cette armée rassemblée trouvera pour subsister dans sa marche.
Les 40.000 hommes que Votre Majesté leur opposerait, les battraient sûrement, mais où trouver assez de charrois pour traîner après eux le pain pour sept semaines, et d'où nourrir S7 escadrons avec tous les autres chevaux d'équipage, d'artillerie etc.?
<421>Cette difficulté levée, l'armée de Votre Majesté serait éparpillée en 5 corps différents et Sa bonne Silésie abandonnée à la défense de 15,000 hommes. Je remarque encore que, tout le but de la guerre de l'Autriche étant la reconquête de la Silésie, ce plan pourrait le leur faciliter.
2.
Quant à ce second article, comme c'est, à peu de chose près, la même manœuvre, je m'en rapporte à ma réponse précédente.
3.
Mes réflexions sur cet article seront comprises dans ce que je dirai sur l'article suivant.
4.
Soit que les Français marchent et se joignent à un corps d'armée de l'Empire, selon l'idée de l'article 1er1 et que Browne voulût les joindre avec 30,000 hommes, selon article 2, ou que les desseins de la cour de Vienne [sont et qu'elle s'] est résolue de faire agir ses armées en Bohême, selon l'article 4ième : quel que puisse être le cas, il me semble ne pas convenir à la gloire ni à l'intérêt de Votre Majesté de nous régler sur leurs idées, mais de former et d'exécuter un plan d'opération qui pût déranger tous les beaux plans qu'on aura forgés à Vienne, soit avec la France ou avec ses autres alliés, et je serais fort du sentiment que Votre Majesté entrât le plus tôt possible avec un corps considérable de Son côté en Bohême; mais dès le commencement pas plus en avant qu'à Aussig, parceque, dès qu'Elle prendrait à droite, Elle aurait bien de la difficulté à faire suivre Ses magasins par terre; et Elle tiendrait dans les postes d'Aussig également le maréchal Browne en échec, qui accourrait en diligence, avec tout ce qu'il pourra ramasser en force dans son ancien poste derrière l'Eger, pour couvrir de là Prague et ses magasins qu'il a derrière et à côté de lui.
En faisant mine de vouloir marcher vers Eger,421-1 Votre Majesté S'éloignerait de l'Elbe, et je ne sais si l'ennemi ne pourrait profiter de cette démarche et tomber en Saxe par les grands chemins vers Dresde. Ce qui pourrait étrangement déranger Votre Majesté, si l'ennemi Lui enlevait un de Ses convois de vivres. Mais, Sire, Vous tenant clos et ferme à Aussig, je me sens charmé de ce que je me rencontre avec l'avis de Votre Majesté sur toutes les opérations qui me regardent et le corps de la Lusace, qui se mettrait en mouvement quelques jours avant, et en même temps avec moi, que Votre Majesté marche vers Aussig, pour arriver, s'entend un détachement du corps de la Lusace, à Tetschen au même instant que Votre Majesté arrive ou marche de l'autre côté de l'Elbe à la même hauteur.
Pour ce qui regarde le reste de cette besogne, qui est ma tâche, j'aurai l'honneur de Lui communiquer mes idées, dès que j'aurai tout concerté avec le lieutenant-général Winterfeldt, auquel j'en ai fait l'ouverture, qui connaissant mieux que moi le pays, j'ai été bien aise de le consulter, le connaissant homme d'expéditions et capable de secrets; et, en attendant son avis, je souhaiterais que Votre Majesté voulût nous envoyer un homme de Sa confiance également capable de secrets et instruit de Ses idées, avec lequel nous puissions nous concerter du côté de Reichenbach421-2 et convenir du jour et de l'exécution de notre dessein.
Dès que le poste de Tetschen est occupé, Votre Majesté aura la commodité de faire venir tous Ses besoins par l'Elbe jusqu'à Aussig, et, à mesure que j'avancerai et le corps de la Lusace plus avant, en situation de pouvoir longer l'Elbe, nous trouverons moyen de part et d'autre de nous maintenir et nourrir avec bien moins de frais que s'il fallait faire suivre tous nos vivres, fourrages et autres néces<422>sites par charroi; me flattant en outre que, pat cette prompte et prématurée expédition, à laquelle sûrement les ennemis ne s'attendent plus, depuis que le prince de Bevern après son expédition de Friedland s'est retiré dans son ancien poste dans la Lusace,422-1 nous enlèverons à l'ennemi plusieurs dépôts de leurs magasins, qui ne laisseront pas aussi à nous aider de vivautés; [et nous nous aiderons] moyennant de l'argent comptant où les vivres nous manqueront, et l'exacte discipline et ordre, dont on se dédommagera par la suite avec usure par les contributions qu'on pourra lever sur les quartiers avec régularité sur les endroits qui n'auront pas été fourrages ou n'auront pu faire des livraisons de pain: ce qui doit naturellement entrer en ligne de compte, quand on pense se maintenir dans un pays ennemi, sauf à en faire le dégât, si on se voyait obligé de l'abandonner sans espérance d'y retourner.
Ma principale vue dans cette expédition est qu'en tombant inopinément et avant que l'ennemi se soit rassemblé en force, au beau milieu des quartiers de l'armée jadis Piccolomini,422-2 qui s'étendent depuis Friedland jusques derrière l'Elbe dans le cercle de Chrudim, j'espère422-3 faire bonne capture, et dont cette armée aura peine à se remettre de toute la campagne; et ce qui dérangera sûrement tous les beaux plans d'opérations qu'on aura formés pour nous abîmer, et facilitera en échange tous les desseins de Votre Majesté pour les opérations ultérieures de Sa campagne.
S'il restait à Votre Majesté assez de forces de Son côté pour un détachement de 12,000 à 15,000 hommes qui fît mine d'en vouloir à Eger, au même temps qu'Elle marche avec le gros de Son armée vers Aussig, cette manœuvre obligerait le maréchal Browne à faire des détachements du moins vers Saatz, pour être en état d'empêcher le siège d'Eger et empêcher à ce corps le passage de la rivière de l'Eger, et plus les forces de l'ennemi seront éparpillées, meilleur marché pour nous.
Comme je m'éloigne par ci par là des réflexions de Votre Majesté, Elle aura la grâce de le pardonner, m'ayant ordonné par Sa gracieuse lettre de Lui marquer bien sincèrement et tout naturellement ma façon de penser sur ce sujet. Ce que j'ai fait avec tout le zèle que j'ai pour Sa gloire et Son service, pendant toute la nuit passée.
Mes arrangements, en outre, sont tels que je pourrai retirer, au premier avis que Votre Majesté voudra nous envoyer quelqu'un de confiance pour concerter nos opérations, les troupes qui sont dans la Haute-Silésie et mettre la main à l'œuvre, et que rien ne pourra plus reculer pour lors, si ce n'est le manque d'habillements, selles etc. ; ce qui me doit encore arriver de Berlin, et sur quoi je n'ai aucune certitude, malgré peut-être dix lettres que j'ai écrites sur ce sujet à Berlin, pour en presser la prompte livraison.
En attendant la gracieuse réponse de Votre Majesté, j'ai l'honneur d'être de cœur et d'âme etc.“
Lockwitz, [26] mars422-4 1757.
Vous avez très bien envisagé les choses, mon cher Maréchal, on voit que vous êtes un vieux routier qui connaissez le métier à fond, et qui pouvez donner de bons avis aux jeunes gens.
J'ai lu et relu votre projet, il est admirable; je suis bien aise de m'être tant soit peu rencontré dans votre façon de penser, mais voici à peu près ce que je crois qu'il faudra régler nécessairement, r Quinze jours de pain pour votre armée. 2° Dix jours de fourrage. Ensuite, comme vous le dites très bien, il faut observer pour le tout un secret impénétrable.
<423>Quant à l'exécution, voici, je crois, ce qui se peut faire de notre côté. Le prince de Bevern a sûrement 30,000 hommes vis-à-vis de lui, il ne saurait agir offensivement, avant que l'ennemi, sachant que vous lui venez à dos, ne lui donne le moyen d'avancer; car le chemin de Gabel et de Reichenberg, garni de 30 à 40,000 hommes, ne se laisse pas forcer avec 25,000 hommes;423-1 mais pour faciliter l'opération du prince de Bevern, je peux envoyer un gros détachement vers la seigneurie de Hainspach, pour inquiéter ceux qui sont du côté de Rumburg et Schluckenau, et me porter ensuite avec 44 bataillons sur la hauteur de Nollendorf. Je ferai faire en même temps des mouvements sur ma droite au corps du prince Maurice, et, si faire se peut, il tombera sur quelque quartier des ennemis de son voisinage. Vous commencerez alors vos opérations. Browne, qui doit supposer que le grand coup se frappera de mon côté, attirera toutes ses forces vers moi. En même temps, quand les Autrichiens de Reichenberg vous sauront à leur dos, ils s'enfuiront; alors le prince Bevern pourra les pousser aussi loin que possible; s'ils tournent vers Aussig, il les suivra l'épée aux reins. Vous avancerez en attendant. Browne ne saura de quel côté tourner. Si alors le prince de Bevern prend Tetschen, je pourrais avancer vers Aussig, où les Autrichiens n'ont qu'un magasin pour les troupes légères, et qui ne me servira pas de grande chose. Je ne peux point prendre de camp auprès d'Aussig, à cause des difficultés; où l'on manque d'eau, où le terrain est désavantageux et mauvais; il faut se mettre à Karbitz, qui est dans la plaine, et où l'on peut bien s'accommoder. Mais d'où prendrons-nous de la paille? Il me faut 8000 chariots du pays pour me voiturer les vivres et fourrages. Toute la partie de la Bohême où j'entre, est radicalement mangée; les magasins de l'ennemi sont à Budin; je ne puis y arriver, ni subsister des miens, ce qui m'obligera à me borner simplement à des ostentations du côté de Nollendorf, Teplitz etc., et ce qui me mettra hors d'état d'empêcher Browne de faire des détachements contre vous. Aussig n'est point propre pour un magasin, et je ne saurais avancer, à moins que le prince de Bevern ne balaie l'autre côté de l'Elbe. Je serais d'ailleurs dans l'embarras de ne point avoir des nouvelles de Browne et de ne pas savoir de quel côté il tourne. Mais s'il se retire même au delà de l'Eger, je ne puis l'atteindre; si je marche sans cavalerie, je pourrai le combattre, mais sans succès; si je me charge de ma cavalerie, je manque de subsistance. Tout cela n'aurait pas lieu, si les herbes étaient venues, ou si dans ce pays ils avaient aventuré leurs dépôts, comme le long de vos frontières.
La politique et la raison de guerre veulent que j'entre en campagne, avant que les ennemis aient arrangé leurs flûtes; mais voilà des impossibilités physiques qui m'empêchent de faire grande chose. Je<424> me trouverai fort heureux, si je parviens à contenir Browne, ne fût-ce que pour un temps; mais à moins qu'il ne fasse quelque sottise grossière, je ne serai guère en état de lui faire grand mal avant la crue des blés. Je vous prie de me dire sur cela ce que vous pensez; car voilà au vrai comme j'envisage l'état des choses, depuis que Browne a mis entre lui et moi la barrière de la famine.
Je me réjouis beaucoup que votre santé s'affermit.424-1 J'ai dit à Krusemark424-2 de presser ce qui manque à vos augmentations; il m'a dit que la cavalerie silésienne s'était chargée de se procurer elle-même toutes ses selles, brides etc. Ainsi c'est peut-être la faute des officiers, qui n'ont pas assez hâté les ouvriers. Quant à l'infanterie, il croit que tout sera rendu le 10 ou 12 d'avril au lieu de sa destination. Adieu, mon cher Maréchal, je vous embrasse de tout mon cœur.
Federic.424-3
Nach dem Concept. Eigenhändig.
420-5 Nr. 8751.
421-1 Vergl. S. 393- 394.
421-2 Dis Zusammenkunft zwischen Schwerin, Winterfeldt und dem vom Könige abgesandten Generalmajor von Goltz fand in Frankenstein statt. Vergl. Nr. 8795.
422-1 Vergl. S. 369.
422-2 Vergl. S. 414.
422-3 In der Vorlage „dont j'espère“ .
422-4 In dem Concept das Datum „ce 27 mars“ , in der Ausfertigung „,26 mars“ .
423-1 Vergl. S. 416.
424-1 Vergl. S. 420.
424-2 Vergl. S. 272.
424-3 Am 28. März übersendet der König dem Feldmarschall Schwerin Mittheilungen eines aus Wien durch Böhmen zurückgekehrten Händlers. Nach dessen Aussage sollten zwei Heere, das eine in Budin, das andere in Olmütz, versammelt werden.