12091. AU CONSEILLER PRIVÉ DE LÉGATION BARON DE KNYPHAUSEN A LONDRES.
Camp de Meissen, 19 mai 1760.
Le courrier Dœpcken m'a rendu les dépêches que vous lui avez confiées du 2 et du 6 de ce mois, par lesquelles j'ai appris avec toute la satisfaction possible la résolution que le ministère a prise de faire passer un renfort dê troupes anglaises en Allemagne et de pousser avec vigueur la guerre contre la France par mer et principalement dans les deux Indes, ce qui certainement réduira bientôt la France à supplier la paix de l'Angleterre aux conditions que celle-ci lui voudra prescrire.
Pour ce qui regarde le comte de Saint-Germain, je trouve bien juste ce que M. Pitt vous a dit à son sujet.356-1 Jusqu'à présent il ne m'a point écrit, et au cas qu'il le ferait encore, je lui donnerai un asile à Emden ou plutôt à Aurich, à condition de ne se mêler de rien. Je crains seulement que cet homme singulier ne s'avise étourdiment de venir ici, sans m'écrire et sans en demander préalablement ma permission, de quoi je ne voudrais point répondre.
Quant à la négociation secrète qui a été sur le tapis entre l'Angleterre et la France, je crois m'avoir assez catégoriquement expliqué dans mes lettres précédentes que je vous ai faites,356-2 et de sorte que je ne saurais le faire plus catégoriquement, que je regarde toute négociation de paix avec la France absolument rompue, et que j'en étais bien aise de ce que le ministère anglais ne s'était point fait duper par les artifices illusoires de la France. Je crois d'ailleurs m'avoir si positivement expliqué par mes lettres antérieures à vous que jamais je ne me séparerais de l'Angleterre, ni ne consentirais jamais à ce que quelques préliminaires de paix se fissent entre l'Angleterre et la France à mon exclusion et sans que mes intérêts et mon inclusion n'y fussent mis pour base, en conséquence du projet que le comte Finckenstein vous a envoyé à mon ordre,356-3 en sorte que les appréhensions que vous marquez, comme si je pouvais ne pas demeurer ferme dans ces principes, tant pour ce qui concerne mon inclusion que la manière de pourvoir à ma sûreté, et que je voudrais laisser ces deux points dans un état incertain, sont tout-à-fait frivoles et non fondées. Sur quoi vous vous dirigerez fermement et que cela vous soit dit de ma part une fois pour toutes, sans que vous vous en écarterez du tout.
J'ai reçu de nouvelles lettres de Constantinople du 11 d'avril,356-4 en conséquence desquelles mon chargé d'affaires à la Porte se plaint encore amèrement des traverses qu'il avait à essuyer dans sa négociation du<357> sieur Porter, jusqu'à médire; que, dès le commencement de sa négociation et jusqu'au moment présent, il avait eu plus à craindre du sieur Porter que de tout ce qu'il y avait là des ministres des puissances ennemies, et qu'il n'y avait que huit jours passés alors que le dernier s'était expliqué tout nettement et en termes exprès vers le secrétaire de l'interprète de la Porte, quand celui-ci avait eu à lui parler sur d'autres affaires, que Dieu le préserverait d'inspirer à la Porte d'entrer en quelque guerre et d'interrompre la tranquillité où elle se trouvait avec les puissances voisines; qu'il n'avait eu aucun ordre de sa cour de s'intéresser le moindrement pour moi à cet égard, et qu'il se garderait bien de le faire jamais.
Voilà ce que je ne vous dis cependant que pour votre unique direction, avec défense expresse de n'en parler du tout aux ministres anglais. Nonobstant cette conduite peu équivoque du sieur Porter, toutes les apparences sont que la Porte signera son traité défensif avec moi et qu'elle opérera ensuite quelque diversion en ma faveur. Si une fois cela sera arrivé, je ne serai guère en peine du dépit secret que le ministère anglais en ressentira; peut-être il n'y a eu principalement que ce moyen pour me soutenir contre toutes les forces supérieures ennemies que j'ai seul sur les bras de tout côté; et, si ledit ministère s'en avisera bien, il trouvera lui-même que ce soit un des moyens des plus efficaces pour ramener d'autant plus tôt la France et ses alliés à se prêter à une paix juste et raisonnable.
Quant à l'article de vos dépêches relativement au rappel de mes 10 escadrons de dragons de l'armée alliée,357-1 vous devez vous représenter vous-même combien il m'a coûté à procéder à cette démarche dont je me suis d'abord représenté quelques inconvénients. Mais ne serait [-il] pas extrêmement dur qu'après les malheurs et les pertes que j'ai essuyés l'année passée, je dusse me laisser accabler impunément des forces ennemies, sans me servir des moyens que j'ai pour faire face encore à mes ennemis? J'écrirai une lettre de ma main propre au roi d'Angleterre357-2 pour lui en indiquer toutes mes raisons. C'est sans fondement ni raison que le prince Ferdinand de Brunswick a fait bruit de cette chose. Il aura cette année-ci, comme il en convient lui-même, 90 000 hommes sous ses ordres; ce qu'il aura de l'ennemi vis-à-vis de lui, sera 110000 ou 120000 Français effectifs: voilà, par conséquence, la proportion de trois contre quatre. Au lieu que tout ce que je puis mettre en campagne, seront 110000 hommes, et que j'aurai vis-à-vis de moi en troupes autrichiennes, russes, de l'Empire et suédois, au delà de 200000 combattants, de sorte que cela fait à mon égard la proportion d un contre deux. Nonobstant cela, je laisse à la disposition du prince Ferdinand les escadrons de hussards, le bataillon franc, avec le reste de ce que je lui ai joint, et, dès que je serai, tant soit peu, sorti de mon<358> grand embarras présent, soit par une diversion des Turcs, soit par quelque autre évènement avantageux, je lui renverrai non seulement les 10 escadrons de dragons en question, mais plus encore dont je ne saurais pas me priver dans le grand embarras où je me trouve actuellement à présent.
Vous parlerez de ce que dessus à ce sujet à M. Pitt et aux autres ministres, qui alors ne manqueront pas d'envisager la proportion des troupes de l'un et l'autre côté.
Federic.
Nach dem Concept.
356-1 Knyphausen und Michell hatten, London 6. Mai, berichtet: „Le sieur Pitt . . nous a fortement sollicité de faire tout ce qui sera en notre pouvoir, pour dissuader à Votre Majesté de permettre au comte de Saint-Germain (vergl. S. 329) de se rendre auprès de Sa personne, de crainte qu'il n'en résultât quelque tracasserie ou inconvénient.“
356-2 Nr. 12071.
356-3 Vergl. Nr. 12032. 12033. 12045.
356-4 Vergl. Nr. 12088.
357-1 Vergl. S. 331. 332.
357-2 Nr. 12093.