12170. AU PRINCE HENRI DE PRUSSE.

Au quartier général de Proschwitz,421-1 15 juin 1760.

Je viens de recevoir ici la lettre que vous m'avez faite du 12 de ce mois. Pour vous répondre, je commencerai de ce qui regarde mes circonstances, et vous dirai que je suis passé aujourd'hui l'Elbe, où le prince de Holstein-Gottorp m'a joint avec ses escadrons de dragons. Nous avons fait prisonniers un capitaine, un officier avec 50 hommes à peu près du régiment de l'Empereur. Mes ponts sont déjà établis auprès de Meissen, de sorte que ma situation présente est actuellement hors de tout hasard. Les manœuvres de Laudon qui, jusqu'à présent, me paraissent très douteuses et me donnent des soupçons encore, font que je n'aventurerais rien sur de simples démonstrations, et avant que de n'avoir des nouvelles sûres qu'il fait amener du gros canon.

Quant à ce qui vous concerne, je crois que le plan qu'on vous a proposé, d'armer les paysans contre les cosaques, n'opérerait que la ruine totale du pays, si on le suivait. Nous avons eu le même projet en Prusse au temps de la première invasion des Russes dans cette province-là; nous avons fourni dans ce temps-là aux paysans des armes à feu, de la poudre et du plomb, et leur avons proposé de vieux officiers pour les conduire; mais tout cela a tourné à notre grand malheur. Nous ne saurions fournir aux paysans de la Nouvelle-Marche et de la Poméranie ni armes, ni munitions, ni gens pour les conduire; ainsi je crois qu'il ne faudra pas penser à l'exécution d'un pareil projet.

<422>

J'avoue que je ne comprends pas comment vous sauriez exécuter celui422-1 de marcher à Nakel, Posen ou en Pologne, dans un temps où l'ennemi est actuellement à Neu-Stettin, à Cœslin et dans ces contrées; ainsi il ne faut pas douter qu'alors toute cette vermine des troupes légères se tournerait sur votre dos et vous couperait toute communication. Pour marcher à Posen, parlez, de grâce, vous-même à Schlott,422-2 qui vous dira que, quand 10000 hommes y sont campés, leur camp est inattaquable. Si j'ose vous dire mon sentiment, je crois qu'il n'y a qu'un parti à prendre pour se débarrasser des Russes, savoir que, parcequ'ils ont partagé leurs forces en deux corps, de tomber sur l'un de deux, quel qu'il soit, et quel qu'il vous convient, et le422-3 battre bien vertement celui-là, ce qui intimiderait l'autre : encore ne fût-ce que pour gagner du temps, outre qu'il est à considérer qu'un si heureux évènement encouragerait les Danois et les Turcs pour agir en notre faveur. Cependant, malgré toutes ces considérations, je vous abandonne tout-àfait et entièrement la conduite de cette affaire. Il pourra arriver que l'ennemi fera des fautes: dans ce cas, je suis persuadé que vous ne négligerez rien pour profiter d'un si heureux moment. Il saura être encore que vous ayez de bons avis et que vous connaissiez certaines circonstances avantageuses que j'ignore : c'est pourquoi, mon très cher frère, je m'abandonne et tout ceci à votre bonne conduite.

Quant à cette caisse de soixante et quelques mille écus, destinés autrefois pour le service de l'armée de Dohna, je crains fort que ce fonds n'existe encore; j'en ai une idée confuse en tête qu'après la malheureuse affaire de Kunersdorf j'ai employé tout le reste de ce fonds, soit pour payer le prêt à l'armée, ou pour acheter des chevaux, ou à l'usage des magasins. Je ne saurais vous dire rien de positif sur cet article, mais je crains que vous ne trouverez ce fonds épuisé déjà, quand vous vous en informerez, quoique je ne saurais assez m'en ressouvenir des circonstances, pour oser vous dire quelque chose tout positivement à ce sujet.

Federic.

Nach der Ausfertigung.



421-1 Nördl. von Meissen, rechts der Elbe.

422-1 Im Concept wird der Satz eingeleitet durch: „Quant à votre dessein“ .

422-2 Vergl. S. 247.

422-3 So.