12249. AU PRINCE HENRI DE PRUSSE.

Quartier général de Gruna, 15 juillet 1760.

Je viens de recevoir vos lettres du 5 et du 9 de ce mois. Vous demandez mon avis si, dans les circonstances présentes, vous devez engager une bataille avec les Russes ou non. Sur quoi, je ne saurais vous répondre autrement, sinon que, si les Russes viennent en deux corps, vous devez tâcher, sans balancer, d'en attaquer l'un, savoir selon que les occasions convenables se présenteront, et, s'il est possible, quand il sera en marche; mais, si toute l'armée russe vient dans un seul corps, alors vous ferez mieux de prendre un bon camp et de vous poster là devant eux, à peu près entre Krossen et Glogau, où il faut que l'armée ennemie passe, quand elle veut marcher sur Glogau.

Quant à moi, ma situation ici est encore très embarrassante; je viens d'avoir pris un bon parti, en assiégeant Dresde, mais je vois que, d'un autre côté, il me faudra faire bien d'autres choses au delà. Selon mes derniers avis, Daun est aux frontières de la Silésie, auprès de Bunzlau, et Laudon en marche, pour se joindre avec les Russes aux environs de Glogau. Si je pousse Lacy et l'armée de l'Empire, ils se laisseront mener jusqu'à Prague, ce qui ne me conduirait à rien; si je suis Daun en Silésie, cela me mènerait encore à rien, ou à très peu de chose; si je puis prendre le parti, après avoir pris Dresde, de marcher pour me joindre à vous, afin d'aller conjointement contre les Russes, ce serait un des meilleurs partis. Mais il faut qu'alors j'abandonne la Saxe, en laissant derrière moi une armée ennemie de 30000 hommes, qui reprendra Dresde, s'emparera de Torgau, Leipzig489-1 et de Wittenberg, avec ce que j'y ai de magasins, et ira tout droit à Berlin.

Me voilà ainsi dans le plus grand embarras du monde où jamais l'on saurait être. Je crois donc que le seul parti qui me reste à choisir,<490> après avoir fait avec Dresde, [sera] de marcher vers Zittau et sur l'rautenau, pour couper par là Daun de ses magasins et de toute communication avec la Bohême, ce qui l'obligerait d'abandonner la Silésie pour revenir en Bohême. J'avoue que mon embarras est grand; tous les partis que je saurais prendre, sont sujets à de grands inconvénients, entre lesquels il n'en est point un des moindres de marcher avec tous mes bagages et de mener avec moi les magasins pour ma subsistance. Mais, comme il faut que je prenne absolument mon parti, il ne me reste que de prendre entre tous les partis mal assurés celui qui est le moins mal assuré.

Le temps n'a pas voulu permettre encore que toutes les lettres chiffrées que j'ai reçues de la Silésie aujourd'hui, soient déjà déchiffrées. Je les lirai demain et songerai alors sur le parti que je dois prendre, et qui me paraîtra le moins incertain et mal assuré. Dès que je serai déterminé là-dessus, je ne manquerai pas de vous l'écrire.

Federic.

Nach der Ausfertigung.



489-1 So nach dem Concept; in der Vorlage fehit „Leipzig“ .