976. AU CARDINAL DE FLEURY A ISSY.
Magdebourg, 12 septembre 1742.
Monsieur mon Cousin. Il est fort difficile de répondre à la lettre que vous m'avez fait le plaisir de m'écrire. Je ne puis entrer dans un détail des raisons qui m'ont obligé de faire la paix avant mes alliés, sans exposer des faits qui vous seraient désagréables. Je veux ne point croire des choses à demi prouvées, je veux même tâcher de me persuader que je me suis abusé sur bien des sujets, et en général, je crois que ce qui nous reste de mieux faire à tous les deux, c'est de garder un parfait silence sur le passé et de penser à l'avenir.
Vous ne trouverez premièrement point que j'aie fait mauvais usage de la confiance que vous avez eue en moi, et je vous assure que personne au monde ne sera instruit de ce qui s'est passé entre nous. Vous pouvez de même être persuadé que je n'agirai jamais ni directement ni indirectement contre les intérêts du roi de France, mais j'espère en revanche que votre cour se trouve dans les mêmes principes, sans quoi je me verrais forcé de changer de conduite.
Ni les offres avantageuses de la reine de Hongrie, ni les nouvelles propositions des Anglais n'ont pu m'arracher la moindre démarche contraire à la neutralité que j'ai embrassée. Je ne changerai point de conduite, et je crois que cette conduite est aussi avantageuse au Roi Très Chrétien dans les circonstances présentes, que pourrait lui être mon assistance formelle; et cela même doit vous répondre de la droiture de mes intentions et de l'attachement que je conserve pour mes anciens alliés.
Tout ce que peut dire contre moi un monde volage, ignorant et peu instruit, ne m'embarrasse guère. Il n'y que la postérité qui juge les rois. Peut-on me rendre responsable de ce que le maréchal de Broglie n'est pas un Turenne? Je ne puis d'un chat-huant faire un aigle. Peut-on m'accuser que je ne me batte vingt fois pour les Français? C'aurait été l'ouvrage de Pénélope, car il était réservé à M. de Broglie de détruire ce que les autres avaient édifié. Peut-on m'accuser de faire la paix pour ma sûreté, lorsqu'au fond du Nord on en négociait une qui allait à mon détriment;270-1 et, en un mot, peut-on <271>m'accuser d'avoir sigrand tort de me tirer d'une alliance que celui qui gouverne la France avoue d'avoir contractée à regret?271-1 Un ministre sent le poids de ces raisons, mais ce n'est pas à la multitude d'en juger.
Je regrette d'ailleurs véritablement que le temps ait du pouvoir sur de certaines personnes qu'il devrait respecter. Les hommes aimables et les grands hommes devraient être exemptés de la loi commune. Je ne puis me consoler de ne vous avoir pas connu personnellement; c'est une chose que je me reprocherai toute ma vie. Je vous prie, Monsieur, de me conserver les bons sentiments que vous avez à mon égard, et je vous assure que je suis sans la moindre rancune, avec toute l'estime et toute l'amitié possible, Monsieur mon Cousin, votre très parfait ami et cousin
Federic.
Nach Abschrift der Cabinetskanzlei.
270-1 Vergl. oben S. 241. 246.
271-1 Vergl. oben S. 257 Anm. 2.