<158> ceci? porter des paroles de paix de l'Angleterre à la France? Je suis moi-même une des puissances belligérantes; mais, quand même je pourrais entamer une telle négociation, il paraît premièrement que ce ne serait pas la voie directe, que par conséquent elle serait longue, et, en second lieu, il n'[y] a rien de plus aisé dans ces sortes de négociations qu'en voulant accommoder deux puissances qui ont des intérêts si opposés, on ne se brouille soi-même avec elles. C'est certainement ce que je ne veux pas, et qui me garantira que, si je fais passer quelque insinuation en France, les Français, dans l'intention de me rendre suspect et odieux en Angleterre, n'y feront pas courir des bruits aussi mensongers que déshonorants sur mon compte? Tout cela bien examiné, me fait conclure qu'il ne me convient point de négocier avec la France, 1° parceque la discussion des grands intérêts de cette puissance doit se faire avec l'Angleterre, 2° parceque la voie est longue et 3° parceque j'y crois entrevoir quelques dangers.
Cette affaire prend une face toute différente, si la négociation s'entame directement par l'Angleterre, car cette puissance aura sans doute réfléchi sur ce qui lui convient de garder ou de restituer de ses conquêtes, jusqu'où elle peut souffrir sans risque l'agrandissement de la France en Flandre et sur les côtes de La Manche; enfin, il n'y a qu'elle qui puisse s'entendre en traitant directement avec la France de la manière que ces deux couronnes pourront concilier leurs intérêts.
Je crois que, cette base posée, la France pourrait se résoudre à faire une paix séparée; j'avoue que l'article du contingent des 24 000 hommes me serait désavantageux, mais je me repose sur les assurances que le roi d'Angleterre a bien voulu me donner de ne point [m']abandonner, même de m'assister de ses troupes allemandes; je me fie à la parole d'un roi et à ces sentiments fermes, nobles et généreux dont son ministère m'a donné tant de preuves dans le cours de cette guerre, et à la bonne foi d'une nation à laquelle on peut reprocher plutôt d'avoir fait trop d'efforts en faveur de ses alliés que de les avoir jamais abandonnés ou trahis.
Si cette paix se peut faire, j'en recueillirai toutefois un grand avantage en ce que, d'abord, je serai débarrassé des Suédois; que l'argent de France venant à manquer en Russie, ralentira les opérations de cette cour, et qu'après une campagne peut-être, avec les secours des troupes allemandes du roi d'Angleterre, la cour de Vienne, lassée d'efforts infructueux et se voyant abandonnée par la France, se rendrait plus traitable sur l'article de la paix.
Vous me demanderez peut-être comment l'Angleterre pourrait entamer cette négociation. La réponse est aisée. Le lieu le plus propre aux conférences est sans doute La Haye. Là, le Roi se peut servir de M. Yorke, dont l'habileté, les lumières et la fidélité sont connues; ou, si le Roi ne veut pas se commettre, il peut se servir du prince Louis de Brunswick, dont le zèle et les bonnes dispositions sont connus.