12505. AU PRINCE HENRI DE PRUSSE.
Unkersdorf,1 15 novembre 1760.
Je vous remercie de la part que vous prenez à la victoire que nous avons remportée le 3. Ses avantages consistent plutôt dans les malheurs dont ils nous préservent, que dans les grands succès qui pourraient s'ensuivre.
J'étais instruit que le maréchal Daun avait des ordres de sa cour de se soutenir à Torgau et dans la Saxe, et de tout risquer pour s'y maintenir; je savais même qu'il avait des ordres de m'attaquer, s'il le pouvait. Il ne me restait que deux partis: l'un, de passer la Mulde et d'occuper cette partie qui est entre la Mulde et la Pleisse. En ce cas, je laissais la Marche ouverte; l'ennemi aurait poussé ses postes jusqu'à la Mulde et se serait mis derrière l'Elbe; ils avaient compris dans ces projets, de porter les Russes de laisser au moins quelques troupes dans l'Électorat et dans la Poméranie, de sorte que j'aurais été coupé de la Marche, de la Poméranie et de la Silésie. Ce sont ces raisons qui m'ont obligé de tenter le hasard, assuré que, si je battais les Autrichiens, les Russes se retiraient d'un côté, les Cercles de l'autre, et que je pourrais du moins parvenir à procurer aux troupes une position supportable pour les quartiers d'hiver. C'est ce qui est arrivé. Nous avons poussé les ennemis jusqu'au Fond de Plauen. Vous connaissez cette situation, et vous savez que, quand même elle ne serait occupée que par des ramoneurs de cheminées, il serait impossible de les en déloger.
Je ne sais quels arrangements l'ennemi prendra. Si les désirs des officiers et des troupes prévalent à Vienne, tout s'en ira en Bohême, parceque tous sont excédés des fatigues qu'ils ont souffertes l'hiver dernier. Si l'intérêt politique prévaut, comme il y a grande apparence, l'armée sera obligée de soutenir sa position. J'ai pris mes arrangements d'avance sur tous les cas. J'entreprendrai tout ce que la prudence me permettra, cependant sans rien hasarder. Je me mettrai dans une telle situation que, si l'occasion se présente de faire quelque bon coup, je sois en état d'en profiter; mais il ne faut pas qu'on exige de moi des miracles, car je vous déclare net que je n'en sais point faire.
Je crois que vous avez à présent la relation que j'ai donnée des détails de la bataille.2 Il y en a beaucoup que j'ai supprimés, à cause que toutes choses ne sont pas bonnes à dire. Il n'y a aucun de nos généraux de blessé dangereusement. Nous avons cependant fait quelque perte: votre régiment derechef a beaucoup souffert,3 le second bataillon de Kalkstein, et en général les grenadiers; mon troisième bataillon n'a pas été épargné non plus. De la cavalerie les régiments de Baireuth et de Spaen surtout ont fait merveille, et n'ont presque pas fait de
1 Vergl. Bd. XIX, 1.
2 Nr. 12467.
3 Bd. XIX, 587.