1369. AU MINISTRE D'ÉTAT BARON DE MARDEFELD A MOSCOU.
Berlin, 30 mars 1744
Vos relations du 27 du février passé, avec celles du 2 et, du 10 de ce mois, m'ont été bien rendues, du contenu desquelles j'ai eu en tout et partout une satisfaction infinie, voyant que toutes les affaires dont je vous ai chargé, prennent le train le plus favorable, de manière que je n'ai nul lieu de douter qu'elles ne viendront au but désiré. Je suis fort obligé au sieur de Brummer de l'ouverture qu'il vous a faite sur la sorte des présents qui pourront être agréables au Grand-Duc, et je ne manquerai point de vous adresser au plus tôt possible de ces peintures, telles que Son Altesse Impériale aime le plus. J'ai été charmé de voir de quelle manière l'Impératrice a souhaité que j'accordasse ma sœur, la princesse Ulrique, en mariage au prince royal de Suède,67-1 et ce qui m'a mis au comble de ma joie, c'est ce que j'ai déjà prévenu sur cela les désirs de l'Impératrice, ayant accordé actuellement ladite Princesse, ma sœur Ulrique, à l'héritier de la couronne de Suède, comme vous serez déjà averti par le rescrit qu'on vous a expédié67-2 sur cela, il y a quinze jours. Vous n'oublierez ainsi point de faire valoir au possible la condescendance que j'ai eue en cela aux demandes de l'Impératrice, et du grand sacrifice que je lui ai fait, m'étant privé par là d'une sœur que je chéris infiniment et qui a fait en partie la consolation tant de moi que de la Reine-Mère, uniquement pour me prêter aux souhaits de l'Impératrice. Vous ne manquerez même pas de m'en faire fête vers la
<68>princesse de Zerbst, en lui faisant un compliment de ma part dans des termes les plus obligeants et les plus tendres que vous sauriez imaginer.
Je ne refuserai point le libre passage par mes États des troupes russiennes, si jamais l'Impératrice devait trouver nécessaire d'en envoyer vers le duché de Holstein, pour le soutenir contre les invasions dont les Danois menacent ce duché.
L'assurance que le sieur de Brummer vous a faite que l'Impératrice ne s'accommodera pas avec la reine de Hongrie, sans en avoir obtenu une satisfaction éclatante, ni sans ma concurrence, m'a fait bien du plaisir, et vous devez pousser à la roue pour que l'Impératrice mette en exécution la résolution qu'elle a prise de rappeler Lantschinski et de renvoyer Hohenholtz.
Je viens d'ordonner au sieur Splittgerber de vous remettre 1,000 roubles, comme le second quartier de pension du sieur Lestocq, que vous ne manquerez pas à lui payer, en ajoutant force de protestations d'égard, de confiance et d'amitié que j'ai pour lui. Et comme vous venez de me faire la proposition de gratifier le sieur de Brummer d'une pension annuelle de 4,000 écus courants, je l'agrée infiniment et ne manquerai point de vous faire remettre les sommes nécessaires à cela par le comptoir de Splittgerber. Vous pouvez même faire dès aussitôt l'avance d'un quartier, ou d'autant que vous croyez nécessaire à ce sujet, du fonds en argent que vous avez entre vos mains, et sur l'avis que vous m'en donnerez tout vous sera remis. J'agrée de même qu'aussitôt que le Procureur-Général sera placé dans le département des affaires étrangères, vous lui puissiez offrir une pension annuelle de 4,000 roubles, de la lui payer d'avance, une année, des sommes que vous avez entre vos mains. J'approuve encore que vous ayez donné 2,000 roubles à Sievers, que je trouve très bien employés ; enfin, vous êtes le maître de faire tout ce que vous trouvez bon pour mon service. Le présent au frère du favori est fait,68-1 et vous ne manquerez point d'empêcher qu'il ne passe point d'ici dans les mains de Saxons.
Quant à certaine lettre que je vous ai envoyée et dont, pour être de trop vieille date, vous me demandez une autre du même contenu,68-2 je n'aurais pas manqué de le faire, si je voyais à quelle fin vous pouviez vous en servir, puisque tout son contenu ne roule que sur les dangers qui menacent l'Impératrice, et dont elle, selon vous, se fâche, quand on les leur fait envisager; ainsi vous vous servirez ou de celle que vous avez en mains, ou vous me donnerez des explications ultérieures là-dessus, pour que je vous puisse envoyer alors une autre lettre par un exprès. J'attends votre rapport sur les particularités de l'éloignement de la famille infortunée, et en quel lieu est situé Ranenbourg.68-3 Vous ne manquerez point de vous ressouvenir de ce que je vous ai <69>ordonné au sujet de l'homme qui fait la préparation du Pfundleder, et au sujet du passe-port pour l'achat de chevaux à faire dans l'Ucraine par le général major Bronikowski.69-1
P. S.
Comme la mauvaise volonté de la reine de Hongrie sur mon sujet se découvre de plus en plus, et que je suis averti de plus d'un lieu, d'une manière à n'en pouvoir douter aucunement, que toutes les démonstrations que cette Reine me fait faire de vouloir observer religieusement la paix qu'elle a conclue avec moi, ne sont que pour me bercer jusqu'à ce qu'elle ait fini sa guerre contre la France, et qu'elle avec ses alliés veuillent tomber alors tout d'un coup sur moi pour m'abîmer, je me vois obligé de vous dire, dans le plus grand secret et sous la condition expresse de n'en faire ouverture à qui que ce soit, ni d'en toucher même la moindre chose dans les relations que vous ferez à mes ministres des affaires étrangères, les circonstances où je suis avec la reine de Hongrie et les mesures que j'ai envie de prendre pour n'en être point abîmé; ce que je fais uniquement pour vous mettre au fait de mes intentions et pour que vous puissiez régler vos négociations là-dessus à la cour où vous êtes. Je n'ai nul lieu de douter qu'aussitôt que la reine de Hongrie aura fini sa guerre contre la France, elle veuille tomber de toutes ses forces et peut-être de celles de ses alliés sur moi. Les preuves que j'en ai aux mains sont trop parlantes, et, outre les avertissements qui me viennent journellement de très bon lieu, le traité qui a été conclu entre la reine de Hongrie et les rois de Sardaigne et d'Angleterre à Worms, y vise d'une manière point du tout équivoque. Pour donc me mettre dans un état de défense contre ladite Reine, et pour même la prévenir, s'il est possible, sur sa mauvaise volonté, de même que pour sauver l'Empire de l'esclavage dont il est menacé, si la reine de Hongrie et sa clique parviennent au bout de leur desseins, je suis résolu de m'opposer au torrent des malheurs qui menacent moi, l'Empereur et l'Empire, si des conjonctures assez favorables s'y présentent. Mais, pour exécuter ce projet avec sûreté, il faut absolument faire préalablement quelques arrangements, que voici:
1° Que je sois bien ancré avec la Russie, soit pour la faire entrer dans le plan que je me propose, ou du moins qu'elle n'y apporte pas d'empêchement. Pour cela, il faudra absolument que vous travailliez avec vos amis de culbuter au plus tôt possible le Vice-Chancelier et de faire rappeler Keyserlingk de la cour de Saxe, qui, outre la partialité extraordinaire pour cette cour, est extrêmement passionné contre moi et est proprement l'auteur de tous les projets que celle-ci a tâché de mettre en œuvre contre moi. Vous tâcherez
2° De passer à la conclusion de la triple-alliance entre la Russie, la Suède et moi, et il faudra voir
<70>3° Jusqu'à quel point l'on pourra disposer l'Impératrice de pousser sa pointe contre la reine de Hongrie, soit en m'assistant de quelques milliers de Kalmouks ou seulement de menaces.
4° Étant prêt à obliger la reine de Hongrie pour donner une satisfaction éclatante de l'affront qui a été fait tant à l'Impératrice qu'à moi dans l'affaire de Botta, vous devez vous éclaircir par vos amis si elle veut mettre sa confiance en cela sur moi.
5° Que l'Impératrice oblige la cour de Saxe à vivre avec moi en bonne harmonie et à concourir à mes vues contre la reine de Hongrie, ou du moins -à n'y apporter aucun empêchement.
6° Que l'Impératrice déclare de même à la cour de Saxe que celle-ci lui ferait plaisir de vivre en bonne harmonie avec l'Empereur et de faire avec celui le renouvellement du traité, conclu 1733 avec la maison de Bavière.
Voilà les points principaux sur lesquels il vous faudra diriger vos vues, pour y réussir le plus tôt le mieux, et sur lesquels il vous faudra dresser vos batteries; aussi ne manquerez-vous point de me faire votre rapport détaillé sur chaque de ces six points que je viens de vous marquer, en me mandant au plus tôt possible votre sentiment, si vous croyez que j'y puisse réussir, et de la manière qu'il faut me prendre pour parvenir à mes fins.70-1
Federic.
Nach dem Concept.
67-1 Mardefeld hatte berichtet, 2. März: „L'Impératrice, après m'avoir dit que,quoique fort éloignée de prescrire quelque chose à Votre Majesté, elle souhaitaitpourtant passionnément que Votre Majesté changeât de sentiment et voulût bien donnerla princesse Ulrique (statt der Prinzessin Amalie, vergl. oben S. 5) en mariage auprince royal de Suède, me chargea de L'en prier de sa part dans les termes lesplus obligeants et les plus pressants“ etc.
67-2 Aus dem Ministerium, 14. März.
68-1 Vergl. S. 49.
68-2 Vergl. S. 17 Anm. 1 und S. 85.
68-3 Der nunmehrige Aufenthaltsort der Prinzessin Anna von Braunschweig.
69-1 Vergl. Bd. II, S. 489.
70-1 Mardefeld antwortet, 19. April: „Je m'aperçois avec chagrin que Votre Majesté sera, pour ainsi dire, dans la nécessité d'entrer en guerre avec la reine de Hongrie, sa mauvaise volonté et encore plus celle de ses alliés, nommément de l'Angleterre et de la Saxe, se manifestant d'une manière si sensible qu'on voit clairement qu'ils épient une occasion favorable pour la faire éclater. Il n'y aurait guère de meilleur moyen pour y remédier et faire échouer leurs dangereux desseins que de procurer un établissement supportable à l'Empereur, qui le rendît à peu près d'une force égale à celle de la reine de Hongrie . . . Les conjonctures présentes semblent y concourir, en ce que Votre Majesté aura le dos libre, étant en liaison avec la Russie et la Suède, et la conquête de Breme et de Verden serait peut-être un appât assez séduisant pour porter la dernière à être de la partie. Cependant ces projets, tout possibles qu'ils sont, seront d'une exécution très difficile. Je ne me rappelle qu'en tremblant la dernière guerre, dans laquelle la France planta l'Espagne d'une manière aussi honteuse qu'impardonnable.“ Auf Unterstützung durch russische irregulare Truppen könne der König nicht rechnen; die Kaiserin vermeide alles, was Verwickelungen und Kosten verursachen könne. „On a adopté pour maxime constante d'empêcher que ces peuples, savoir les Cosaques et Kalmouks, ne servent dans les armées d'aucune puissance étrangère, de crainte qu'ils n'apprennent à connaître la différence qu'il y a entre leur état et celui des autres nations.“ Uebrigens seien dieselben nicht im Stande, den österreichischen Husaren die Spitze zu bieten.