1436. AU MAJOR GÉNÉRAL COMTE DE ROTHENBURG A PARIS.
Potsdam, 13 mai 1744.
Je viens de recevoir vos dépêches en date du 4 de ce mois. De la manière que vous vous expliquez sur la conduite que vous avez tenue vers la cour de Versailles, je suis très satisfait de vous et des manières que vous avez prises pour parvenir à mes fins; je suis surtout très content de la route que vous vous êtes frayée pour parvenir promptement au but désiré, et des liaisons que vous avez faites avec ce qu'il y a de meilleures têtes en France; enfin, pour vous rendre justice, il faut que j'avoue que vous avez surpassé mes attentes, et je ne doute à présent nullement qu'après que vous avez si bien commencé, vous ne manquerez point de mener à une fin heureuse les affaires importantes dont je vous ai chargé. Je mets toute ma confiance en la personne du roi de France, dans l'espérance que nous traiterons cette fois-ci de roi à roi, et que rien ne nous pourra désunir, me remettant, au reste, sur la foi de sa promesse que le traité que nous sommes sur le point de conclure, restera un secret impénétrable pour tout le monde.
Je regarde le changement qui est arrivé avec le sieur Amelot comme un coup de parti, et vous sais bon gré de tout ce que vous y avez contribué; vous pouvez être assuré de ma discrétion sur tout ce que vous me mandez d'avoir fait avec le roi de France, et d'ailleurs je viens d'ordonner à Klinggrœffen d'accabler de politesses le sieur de Chavigny, afin de le faire, comme vous dites, tout plein d'amitié de ma part et de le mettre dans mes intérêts ; aussi est-il vrai que le roi de France met ses affaires dans de dignes mains, s'il emploie Chavigny à la place d'Amelot.
Quant au projet du traité, j'en ai été assez content, et il n'y a que peu de choses que je souhaite d'y être insérées encore, comme vous le verrez par le contre-projet chiffré que vous trouverez ci-clos. Vous tâcherez de votre mieux, avec le sieur de Chambrier, afin qu'on admette tout ce que je viens ou de changer ou de joindre à ce traité131-1 <132>et, lorsque vous serez convenu de tout, mon intention est que vous deviez le faire mettre au net, et, les échanges des pleins-pouvoirs faits, le signer avec le sieur de Chambrier, à quelle fin je vous envoie ci-clos les pleins-pouvoirs nécessaires.
D'abord que vous l'aurez signé, vous pouvez retourner vers ici et m'apporter un des exemplaires signés, pour que j'en puisse faire expédier alors les ratifications usitées, ce que je ferai faire incontinent après que j'aurai de bonnes nouvelles de mon traité à faire avec la Russie et la Suède. Je renverrai alors le traité ratifié au sieur de Chambrier, pour qu'il le puisse échanger, mais il faudra de toute nécessité que vous vous concertiez bien avec le sieur de Chambrier par quelle voie je puisse lui envoyer sûrement le traité, pour qu'il ne soit point intercepté en chemin faisant ; car je crains fort que la route par Wésel à Paris ne sera plus sûre, d'abord que les opérations de guerre auront commencé en Flandre; je crains la même chose pour Francfort, et je ne sais pas s'il y aura une autre route plus sûre que celle de Mannheim pour faire passer notre traité en France; ainsi vous n'oublierez point de vous régler bien sur cet article avec le sieur de Chambrier.
Quant au mémoire que vous m'avez envoyé, signé du maréchal de Noailles, j'avoue qu'on n'a jamais mieux rencontré ma façon de penser sur toutes les matières qu'on y traite, qu'on l'a fait dans ce mémoire, ainsi que je ne saurais pas m'exprimer autrement qu'on y a fait, si je l'avais dicté moi-même. Aussi ai-je donné d'abord mes ordres au sieur de Klinggraeffen pour la conclusion des deux traités à faire avec l'Empereur, savoir pour le traité d'union, avec son article séparé, et pour le traité secret. Quant au troisième traité, à faire avec le roi de France, j'espère que, par le projet que je vous renvoie, j'aurai rempli tout ce qu'on peut désirer de moi à ce sujet; je suis surtout très satisfait de ce qu'on a fait le projet de ce traité sur le pied d'un traité d'amitié et d'alliance perpétuelle et irrévocable, offensif pour le moment présent, et défensif pour la suite, articles que j'aurais désirés tout exprès, si l'on ne m'avait pas prévenu là-dessus. Comme il y a pourtant encore d'autres réflexions qui me sont tombées dans l'esprit sur les conjonctures présentes, j'en ai dressé le mémoire ci-clos, et vous ne manquerez pas d'en faire un bon usage.
Pour ce qui est de l'autre mémoire que vous m'avez envoyé, tou<133>chant les opérations militaires, je le trouve bien pensé; mais, pour mettre le roi de France bien au fait sur la manière que je médite de faire mes opérations, j'en joins ici le projet, duquel vous ne manquerez pas de faire l'usage convenable, afin qu'en combinant ce plan avec l'autre que vous m'avez envoyé, on puisse convenir exactement sur ce que les parties alliées belligérantes auront précisément à faire, concert qui est d'autant plus nécessaire que sans cela nous ne ferions rien qui vaille. Un des articles que je vous recommande le plus, est qu'on tâche d'éloigner autant qu'il est possible les troupes autrichiennes de la Bohême, et qu'on les empêche, s'il est possible, de pouvoir se porter à Prague avant que j'aie pris cette ville; puisque autrement tout mon plan courrait risque d'échouer; mais d'abord que je serai maître de Prague, les Autrichiens n'auront qu'à venir.
L'article de gagner le roi de Sardaigne et de l'attirer dans notre parti, serait un grand coup et peut-être plus aisément à faire qu'on le croit, si la France pouvait disposer la reine d'Espagne de ne traiter plus si rudement le Roi de Sardaigne qu'elle l'a fait par le temps passé, et de lui faire encore quelques cessions outre celles qu'il a eues par le traité de Worms.
Quand je parle, dans mon projet du traité à faire avec la France, des enclavures de la Moravie, il faut que je vous dise pour votre instruction que ce n'est proprement que le petit district de Hotzenplotz avec ses appartenances, qui est dans la Haute-Silésie, mais qui relève proprement de la Moravie et que les Autrichiens se sont stipulé exprès par le traité de Breslau.
Au reste, vous ne manquerez de vous concerter sur tout ce que dessus avec le sieur de Chambrier.
Federic.
Mémoire.
La première chose que la cour de Vienne fera, quand elle se verra attaquée par la Prusse, sera d'offrir des conditions extrêmement avantageuses à la France. Sur ce sujet, on compte sur le roi de France, comme sur un fidèle allié, et qui n'oubliera pas son grand intérêt, qui est l'abaissement de la maison d'Autriche, surtout en Allemagne, sans se laisser éblouir par des offres spécieuses. Si la cour de Vienne ne voit pas jour de réussir de ce côté-là, la cour de Londres et la cour de Vienne se tourneront du côté des Espagnols, pour les détacher de l'alliance avec la France. En quoi je crois qu'il sera bon que la France ait un œil vigilant et une attention extrême.
Quant aux affaires d'Italie, il me semble que pour se faciliter une sûre réussite de ces opérations, il serait d'une nécessité absolue de gagner le roi de Sardaigne, sans quoi il me paraît qu'il y aura toujours des difficultés infinies de réussir en Italie, et que par conséquent l'alliance d'Espagne ne sera qu'à charge aux autres parties belligérantes. Mais que, si l'on cède au roi de Sardaigne quelque chose de plus qu'il <134>n'a obtenu par les cessions faites par la reine de Hongrie, et qu'il voie d'ailleurs la supériorité des alliés, il se laissera peut-être entraîner à changer de parti.
Pour ce qui regarde la Saxe, je suis entièrement du sentiment de la France qu'il serait convenable que l'Empereur cédât au roi de Pologne quelques lambeaux du royaume de Bohême qui touchent la Misnie; mais je crains que sur cela la grande difficulté viendra du côté de la cour impériale, et je crois que la Saxe, plus susceptible de crainte que d'ambition, ne sera pas difficile à entrer dans nos vues, si on lui demande une déclaration sur ce sujet, pendant le temps que les troupes prussiennes passeront par le pays. La France de son côté y pourra contribuer beaucoup, en parlant de grosses dents et en enjoignant à ses envoyés en Russie de porter l'Impératrice de déclarer au roi de Pologne que cela lui ferait plaisir. Comme il est à présumer qu'aussitôt que je commencerai à agir, selon les concerts que je prendrai avec la France, les Anglais et les Autrichiens, en haine de ce concert, voudront tomber sur les pays de Clèves et sur les autres provinces que je possède en Westphalie au delà du Weser, pour y exercer leur vengeance, on se promet de la part du roi de France qu'en bon allié, il voudra bien garantir ces mes provinces de toute insulte, et faire faire pour cela, par ses armées en Flandre et d'autre part, tels mouvements qui précautionneront ces provinces de toute attaque, insulte ou surprise. Ce qui doit faire un article exprès de notre traité.
Projet des opérations.
Je ne puis agir que le Ier août, à cause que
1° Je ne suis pas en état de faire des magasins sur les frontières de la Bohême qui appartiennent à la Saxe.
2° Que les fourrages ne viennent point avant ce mois-là en Bohême.
3° Qu'un bon nombre d'artillerie ne sortira de fonte que vers ce temps-là.
4° Qu'ayant prévu que mes alliances ne pourraient point être arrangées avant ce temps-là, tous les arrangements militaires sont pris de façon qu'il est impossible de les hâter, quand même je le voudrais.
Mais indépendamment de cela, rien n'empêchera les opérations de cette année pour lesquelles je me suis engagé. Je compte même de camper le 1er de septembre avec 80,000 hommes en front et bannières auprès de Prague, et de tâcher à me rendre maître de cette ville. Sur quoi roule le point principal de toute cette expédition, et pour lequel il est absolument nécessaire que l'on empêche les Autrichiens, autant qu'il sera possible, de ne pouvoir pas tourner et se porter à Prague avant le 10 ou le 12 de septembre. Prague pris, j'enverrai d'abord un détachement pour me rendre maître du camp de Budweis et de Tabor, et avec l'armée je me porterai au devant des ennemis, de quelque côté qu'ils viennent. H est à croire que ce sera le chemin de Pilsen qu'ils <135>choisiront, et qu'étant une fois battus, ils seront obligés de se replier sur la Haute et la Basse-Autriche, ne pouvant occuper les camps de Tabor et de Budweis, dont je me serai rendu le maître avant eux. Cette campagne devra se finir, en prenant les quartiers d'hiver le long des montagnes qui font les frontières le long de l'Autriche. En attendant, le général Marwitz entrera avec un corps de 24,000 hommes en Moravie et s'emparera d'Olmütz, pour couvrir de ce côté-là la Silésie contre les incursions des Hongrois.
L'année d'après, je pourrai ensuite avancer avec mon armée jusqu'au Danube, et me porter même du côté de Vienne, s'il en est besoin.
Les mouvements qui peuvent faire manquer ou altérer ce plan, peuvent être, si les Autrichiens, au lieu de venir en Bohême, rétrogradaient du Rhin vers la Bavière et la Haute-Autriche, et qu'ils y attendissent patiemment le secours que le prince de Lobkowitz pourrait leur envoyer de l'Italie, pour attaquer les Prussiens au commencement de l'année 1745, par une campagne précoce.
En ce cas-là, je mettrai mes troupes de bonne heure en quartiers d'hiver, et, au commencement du mois de mars, je ferai une marche pour tomber sur les quartiers des ennemis et les dissiper.
Le corps que j'aurai en Moravie, ne peut et ne doit opérer plus avant qu'Olmütz, à cause que ce corps doit servir plutôt pour défendre la Silésie que pour agir offensivement, à moins que les principales forces de la reine de Hongrie ne se dirigeassent de ce côté-là, auquel cas, ma grande armée pourra s'y porter de même.
D'autres inconvénients qui pourraient arriver encore, seraient, si les Impériaux, voyant les Autrichiens occupés de mon côté, ne savaient pas mieux profiter du bénéfice du temps que de s'amuser au siège d'Ingolstadt. Dans ces sortes d'expéditions, il faut profiter du premier moment de surprise où est l'ennemi, et ne point lui laisser le temps de se reconnaître; ainsi, mon opinion est que les Impériaux pourraient avancer jusqu'à Schserdingen et Braunau. Après quoi, il est nécessaire que la distribution de leurs quartiers d'hiver se fasse de façon qu'on puisse promptement assembler les troupes en cas d'attaque de l'ennemi.
Un autre des inconvénients qui pourraient arriver, serait, si les Autrichiens, se recognant en Autriche, voulaient ouvrir une campagne précoce et tomber d'un côté de front sur les Impériaux, et de l'autre côté les faire prendre en flanc par un détachement du prince de Lobkowitz qui pourrait les attaquer du côté du Tirol; et il sera nécessaire de penser, comment on pourrait se tirer de cet embarras, si pareil malheur venait à arriver.
Nach dem Concept.
<136>131-1 In dem Contreprojet sind als Articles 7— 9 drei neue Artikel hinzugefügt; der erste betrifft die Erwerbung des österreichisch gebliebenen Theiles von Schlesien% %nebst den mährischen Enclaven (vergl. S. 134) durch Preussen; in Artikel 8 übernimmt Frankreich die Garantie fur die neuen Erwerbungen Preussens; in Artikel 9 (vergl. S. 134) verpflichtet Frankreich sich zum Schutz der westphälischen Provinzen Preussens, im Falle eines Angriffes auf dieselben. Von den Aenderungen des Contreprojets trifft die erheblichste den Artikel 4: „Le roi de Prusse s'engage à se déclarer et à entrer en Bohême, avec une armée de 80,000 hommes, dans le mois d'août prochain, et plus tôt dans le cas où le traité de Sa Majesté Prussienne avec la Russie et la Suède serait conclu et ratifié,“ wo der König die durch den Druck ausgezeichneten Worte streicht. Die von ihrn gewünschten Zusätze und Aenderungen fanden in dem Vertrag, wie er am 5. Juni zu Paris unterzeichnet wurde, Aufnahme.