1449. AU CONSEILLER PRIVÉ DE GUERRE DE KLINGGRÆFFEN A FRANCFORT-SUR-LE-MAIN.

Pyrmont, 26 mai 1744.

J'ai bien reçu votre relation en date du 16 de ce mois, avec celle du 23 que le courrier Eckert m'a apportée. Quoique je comprenne fort bien les inquiétudes de l'Empereur sur son état d'incertitude, et que j'en prenne toute la part possible, il faut néanmoins que tout se fasse d'une manière à ne rien précipiter dans une affaire de si grande <148>conséquence, et ne pas ruiner mes propres affaires sans que l'Empereur en tirât ni utilité ni secours réel. C'est pourquoi j'approuve fort la réponse que vous lui avez faite, et je ne saurais vous cacher que l'Empereur n'attrape pas juste, s'il est de l'opinion que j'ai à disposer de l'impératrice de Russie selon mon gré. Il s'en faut bien, car, quoique cette Princesse témoigne d'être de la meilleure volonté du monde pour moi et pour mes intérêts, néanmoins son peu d'application aux affaires et la grande indulgence qu'elle a pour son vice-chancelier Bestushew — qui jusqu'à présent est seul au timon des affaires étrangères, et qui, vendu qu'il est au parti anglais, saxon et autrichien, m'a mis en chemin tout ce qu'il lui a été possible, agissant le plus souvent contre les ordres exprès de sa souveraine — est encore une pierre d'achoppement que j'aurai toutes les peines du monde à ôter. Les intrigues dudit ministre vont même si loin que, selon des avis que j'ai eus de Russie, on y craint fort une révolution prochaine en faveur de la princesse Anne, ci-devant régente, si l'Impératrice ne peut pas bientôt gagner sur soi de déplacer ce ministre infidèle et de faire maison nette des autres conspirateurs contre elle, dont les trames et les brigues contre elle commencent à se découvrir de jour en autre, sans qu'ils en soient ni recherchés ni punis, par un excès de bonté de l'Impératrice. Ce que je ne vous dis pourtant que pour votre direction, sans que vous en deviez faire éclater quelque chose à personne. Vous verrez au moins par-là la nécessité que j'ai d'aller fort bride en main, et que, si l'Empereur est inquiet sur son état d'incertitude, je ne le suis pas moins sur celui de la Russie, de laquelle il faut pourtant absolument que je sois assuré avant que de tirer l'épée, si je ne veux pas me mettre dans un danger évident d'être accable et abîmé.148-1

Je suis charmé d'apprendre le pied de confidence sur lequel vous vous êtes mis avec le sieur de Chavigny, et que vous ne négligez rien pour l'attirer dans mes intérêts; aussi continuerez vous de lui dire de ma part toutes les politesses, imaginables, aussi souvent que l'occasion s'en présente naturellement, et de l'affermir de plus en plus dans les sentiments qu'il vous a témoigné d'avoir pour moi, surtout dans son nouveau système, à la vérité le plus solide qu'on puisse penser, c'est-à-dire qu'il faut regarder toujours comme inséparables les intérêts de la France avec les miens, et que nous ne nous pourrions jamais porter dommage l'un à l'autre, mais bien nous assister et entr'aider en presque toutes les occurrences.

Quant au recez de l'Union que j'ai bien reçu, avec les copies des plein-pouvoirs des autres ministres, j'approuve que vous l'ayez signé,148-2 et j'ai ordonné qu'on en doive expédier la ratification et vous l'envoyer, afin que vous puissiez faire à son temps les échanges usités.

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J'ai appris avec plaisir tout ce que le sieur de Chavigny vous a dit d'obligeant sur le consentement que je vous ai donné de signer l'article séparé touchant l'invitation à faire à la France d'accèder au recez. On ne saurait plus approuver que je le fais, les deux articles que vous lui avez recommandés avant que de signer,149-1 et j'ai trop de bonne opinion dudit sieur de Chavigny pourque je dusse douter qu'il n'en ferait un bon usage.

Quant à la communication à faire du recez tant aux cours de Bonn et de Saxe qu'à celle de Vienne, je crois qu'avant que le terme de ratification et d'échange de ce recez sera passé, les parties contractantes auront assez de temps pour se concerter au sujet de ladite communication; je suis cependant du sentiment qu'il est de la prudence de n'en rien communiquer ni à la cour de Bonn ni à la Saxe, ni à qui que ce soit, mais de continuer plutôt à garder le secret jusque vers le milieu ou plutôt vers la fin de juillet. Comme le temps s'approche alors où je commencerai à me remuer pour faire la levée de boucliers, je suis d'opinion que cela fera bien plus d'impression aux cours de Bonn et de Saxe que si l'on leur communique le recez avant qu'on leur puisse faire voir le ton qu'on est prêt de donner à cette négociation; après quoi l'invitation de la France pourra suivre. Il sera surtout nécessaire d'attendre ce temps-là pour faire la communication du recez à la cour de Vienne; car de le vouloir faire plutôt, ce ne serait autre chose que de vouloir avertir cette cour-là d'être en garde et de se précautionner contre les mesures qu'on voudra prendre contre elle. Vous ne manquerez pas de vous expliquer là-dessus avec l'Empereur et avec le sieur de Chavigny et me mander alors leur sentiment là-dessus. H serait superflu de vous avertir que vous ne deviez rien faire entrevoir aux autres parties contractantes du dessein que je médite d'agir avec mes troupes, et je me remets à ce sujet sur votre prudence et savoir-faire.

Touchant mon traité secret à faire avec l'Empereur sous la garantie de la France, je suis content du projet que vous en avez couché avec le sieur de Chavigny, le trouvant en tout conforme à mes ordres; aussi n'ai-je fait que d'ajouter dans l'article second149-2 quelques mots d'ex<150>plication, pour éviter tout équivoque et tout sujet de dispute, comme vous verrez par l'exemplaire que je vous renvoie. Par la même raison j'y ai mis après l'article 5 encore un article, touchant le commerce entre la Bohême et mes provinces de la Silésie et la partie de la Bohême qui m'appartiendra, ce qui, à ce que j'espère, passera sans contradiction. Quant à la signature de ce traité, vous avez fort bien fait d'insinuer à l'Empereur qu'avant que d'y procéder, il faut que j'aie mes sûretés du côté de nord, et ce que je vous ai mandé ci-dessus sur l'état incertain de la Russie, vous convaincra de la nécessité qu'il y a que j'attende absolument l'issue de mes négociations en Russie.

Il serait fort à souhaiter que le sieur de Chavigny puisse disposer l'Empereur à faire les petites cessions que vous me marquez à la Saxe150-1 en cas qu'on puisse l'attirer par-là dans notre parti. Ce serait un coup de parti pour l'Empereur, surtout si l'on pourrait alors stipuler que la Saxe se charge de la prise de la ville d'Égra. Quelque répugnance que l'Empereur ait contre la Saxe, il faut pourtant considérer toujours que c'est une conquête de la Bohême qu'on fait pour lui, et qu'il ne faut pas regarder de si près quand on veut parvenir à ses fins.

Je ne suis point du tout édifié que la Hesse se montre si roide et si difficile, et il est sûr que, pour les 6,000 hommes qu'elle veut fournir aux bons deniers comptants, ses prétentions sont énormes et pour la plupart infaisables. Je ne perds pourtant pas l'espérance de pouvoir rectifier le prince Guillaume là-dessus, à quoi je travaillerai. Supposé pourtant qu'on conviendra avec la Hesse pour quelque chose, vous donnerez alors ma garantie dans la forme usitée.

J'ai mille obligations à M. de Chavigny de l'attention qu'il m'a témoignée en me communiquant les copies de ce que le marquis de Valory a ordre de me communiquer au sujet de ce qui s'est passé à la conférence de Lille avec le comte de Twickel ;150-2 comme ledit marquis vient de m'envoyer de la part de sa cour ces pièces, je l'ai chargé de témoigner ma reconnaissance à la cour pour la confidence qu'elle m'en a voulu faire.150-3 Si une occasion convenable se présente, vous ne laisserez pas de dire au sieur de Chavigny que la chose qui me fait encore bien de la peine, est que je crains fort qu'aussitôt que dès que je serai entré en force avec mes troupes en Bohême, la cour de Vienne avec celle de Londres ne manquent pas de faire à la France <151>des offres les plus séduisantes pour la séparer de moi; que j'espère pourtant que la France, pour ses propres et véritables intérêts, refusera tout net tout accommodement plâtré et séparé et qu'elle ne voudra jamais m'exposer à la rage et à la vengeance de la cour de Vienne et de ses alliés; en quoi je compte principalement sur lui, le sieur de Chavigny, étant persuadé que, quand une fois il sera dans le ministère de la France, il ne donnera jamais les mains à une paix séparée et à mon exclusion, chose qui serait diamétralement opposée aux véritables intérêts de la France.

Il y a encore une chose sur laquelle il vous faudra concerter tant avec le sieur de Chavigny qu'avec l'Empereur; c'est que je crois que, quand je ferai la levée de boucliers en faveur de l'Empereur, il faudra que cela se fasse sous l'auspice de celui-ci, et que mes troupes passent alors pour des troupes auxiliaires que j'avais données à sa disposition; mais comme j'y serai en personne, je crois qu'il serait et convenable et nécessaire que l'Empereur me donnât alors les patentes de lieutenantgénéral des troupes de l'Empire. Vous n'oublierez pas de faire les insinuations nécessaires sur cet article, dont j'attends après votre rapport.

Au reste, vous vous donnerez toute la peine imaginable de savoir au juste à combien l'armée autrichienne au Rhin peut aller, non pas selon le calcul du sieur de Wallbrunn151-1 et selon que les Autrichiens le veulent faire accroire, mais selon qu'ils sont effectifs en hommes.

Federic.

Nach dem Concept.



148-1 Dieselben Gründe entwickelt der König in einem Schreiben an Seckendorff von gleichem Datum.

148-2 Die Unterzeichnung war zu Frankfurt am 22. Mai erfolgt.

149-1 Klinggräffen berichtet, 23. Mai : „Je n'ai pas oublié de lui faire les insinuations, conformément aux ordres de Votre Majesté (vergl. oben S. 138), et je les lui répéterai encore une fois, avant que de signer, 1° de lui recommander un secret inviolable sur cette accession; 2° que la signature de Votre Majesté pour l'accession de la France ne prendrait sa véritable force que par les opérations vigoureuses par où la France devrait, ainsi qu'elle l'a promis, donner le ton à l'Union confédérale.“

149-2 Article 2: „Sa Majesté Impériale, touchée de la plus vive reconnaissance, cède à cette condition (gegen die im Artikel 1 von Preussen übemommene Verpflichtung, Böhmen für den Kaiser zu erobern) dès à présent à Sa Majesté Prussienne, [en pleine souveraineté et sans aucune dépendance ni de la couronne de Bohême ni de l'Empire, sous quelque prétexte que ce puisse être]. rrévocablement et à perpétuité, pour elle, ses successeurs, ses héritiers à l'infini, de la manière la plus forte, la plus solennelle et la plus authentique, les droits qui lui appartiennent sur le reste de la Haute-Silésie autrichienne [les enclavures de la Moravie y comprises], en outre [de la même manière% %et en pleine souveraineté, sans aucune dépendance ni de la couronne de Bohême ni de l'Empire, sous quelque prétexte que ce puisse être]. a partie de la Bohême savoir: le cercle de Königgràtz sans aucune exception, la ville de Kolin [avec ses appartenances]. a seigneurie et la ville de Pardubitz, les cercles de Bunzlau et de Leitmeritz selon le cours de l'Elbe, en sorte que ce qui est situé sur la rive de l'Elbe en dedans de la Bohême du cercle de Leitmeritz restera à Sa Majesté Impériale.“ Die in eckigen Klammern eingeschlossenen Worte sind die von dem Könige gewünschten Zusätze.

150-1 Der Theil des Leitmeritzer Kreises westlich der Elbe und ein kleiner Landstrich bei Eger.

150-2 Vergl. Droysen V, 2, 262. 2S6. 288.

150-3 Vergl. unten Nr. 1454.

151-1 Klinggräffen hatte am 16. Mai berichtet : „Le baron de Wallbrunn, qui est revenu de Stuttgart, relève extrêmement la beauté des Autrichiens qui s'assemblent actuellement à Heilbronn; il fait monter à 70,000 hommes cette armée.“