1460. AU MINISTRE D'ÉTAT BARON DE MARDEFELD A MOSCOU.
Pyrmont, 2 juin 1744.
Vos relations du 4 et du 7 du mai passé m'ont été bien rendues, par lesquelles j'ai vu à mon grand regret l'état d'incertitude où vous vous trouvez encore par rapport aux affaires dont je vous ai chargé, et l'embarras où vous êtes par les trames sans discontinuation du Vice-Chancelier, avec les intrigues des Saxons et des Anglais, qui par l'arrivée du lord Tyrawley ne deviendront guère point,165-3 mais s'accumuleront plutôt de jour en jour. Complication des circonstances qui ne sauraient que devenir à la fin fort fatales à l'Impératrice et à tous ceux qui la servent avec fidélité, par le peu de soin qu'elle prend à sa conservation, par son indolence qui surpasse toute imagination, et par l'irrésolution où elle est pour faire maison nette et pour déplacer un ministre d'une infidélité sans exemple, dont toutes les actions ne dénotent que trop que, par la rage qu'il a contre la famille de Holstein, il n'a d'autre but que de vouloir saper peu à peu le tône de sa souveraine, pour l'en renverser d'autant plus sûrement.
Il ne faut pourtant pas que vous perdiez pour cela bon courage, mais que vous tâchiez plutôt de redoubler vos efforts pour obvier à tout le mal qui menace tant l'Impératrice que mes intérêts; c'est pourquoi je crois que vous feriez fort bien de parler encore une fois au sieur de Lestocq, pour l'entretenir de toutes les horreurs qu'il aurait à essuyer, si jamais les ennemis et faux amis de l'Impératrice venaient à réussir dans leur dessein pernicieux à culbuter l'Impératrice et à ruiner les intérêts de la famille de Holstein, et qu'il fallait pour cela qu'il tâchât d'éveiller <166>l'Impératrice par des remontrances sérieuses, et, en lui mettant en jour l'état dangereux de ses affaires, la ranimer pour s'en tirer en faisant maison nette et en ne confiant plus ses affaires à des gens qui l'avaient trahie en tant d'occasions, ce dont encore la dernière lettre du digne général Keith dont vous faites mention, servait de nouvelle preuve. Vous vous concerterez sur le même sujet avec la princesse-mère d'Anhalt-Zerbst, et si vous croyez que la lettre de ma main propre à l'Impératrice, que je vous ai confiée,166-1 pourrait faire un bon effet sur celle-ci, je vous permets d'en faire encore usage; ce que je laisse pourtant à votre considération ....
Il ne me reste à présent que d'attendre l'heureuse issue des affaires dont je vous ai chargé, et, si contre toute mon attente elles venaient à manquer, je n'aurai au moins rien à me reprocher, ayant tout fait ce qui est humainement possible pour les faire réussir, ayant travaillé pour faire le mariage entre le grand-duc de Russie et la princesse de Zerbst, accordé ma sœur au prince successeur de la couronne de Suède et employé des sommes assez considérables pour le succès de toutes ces affaires ; c'est de vous et de votre dextérité que j'attends à présent mon sort, duquel, à ce que j'espère, vous me rendrez certain ou vers la'fin de ce mois ou au commencement du juillet prochain.
Quant au terme auquel la pension du sieur de Brummer doit commencer à courir, je vous laisse la liberté de le déterminer comme vous le trouverez convenable, et je crois qu'il faudra du moins qu'il commence du temps que vous l'avez assuré de cette pension de ma part. Vous pouvez compter que je ne manquerai point de faire un bon usage de tout ce que les sieurs de Brummer et Lestocq m'ont fait conseiller touchant le comte Tessin,166-2 et que les insinuations qu'ils demandent seront faites. Vous ne manquerez pas de me rendre compte de ce qui s'est passé jusqu'à présent au sujet de l'alliance à faire entre moi, l'Impératrice et la Suède, et quand est-ce que cette affaire pourra venir à sa maturité ; de même que sur les autres matières dont j'ai demandé votre rapport. En finissant, je veux bien vous dire que mon ministre à Dresde, le comte de Beess, vient de me mander que le comte de Keyserlingk lui avait déclaré nettement qu'il n'avait point reçu des instructions de la part de sa cour touchant les insinuations que celle-ci a promis166-3 à faire au roi de Pologne de ce que l'Impératrice consentirait qu'il fît son traité avec l'Empereur Romain, et qu'elle conseillerait au roi de Pologne de vivre en bonne union avec moi.
Federic.
<167>Je tremble à chaque relation que je reçois de vous, d'apprendre ce que je crains si fort; n'épargnez point la pluie de Danaé et pensez que rien ne me coûte lorsqu'il s'agit d'assurer et affermir la fortune de mes amis.
Nach dem Concept. Der Zusatz nach Abschrift der Cabinetskanzlei.
165-3 Sic.
166-1 Vergl. S. 85. 145.
166-2 Mardefeld hatte berichtet, Moskau 7. Mai: „Keith, dans sa lettre au sieur Lestocq, marque qu'il faut employer le verd et le sec pour gagner le comte de Tessin, le plus grand génie, sans contredit, qui se trouve dans le royaume de Suède, en vertu de quoi le sieur de Brummer et le sieur Lestocq supplient Votre Majesté de vouloir bien y contribuer et d'imprimer à Son Altesse Royale de disposer son future épouse à honorer ce comte de sa confiance.“
166-3 Vergl. S. 120. 125.